Fulcanelli et l'hôtel Lallemant à Bourges
Blason Jean Lallemant, vitrail original.
L'alchimiste parisien du début du XXème siècle, connu seulement sous le pseudonyme de Fulcanelli, mentionne l'hôtel Jean Lallemant à Bourges comme étant une demeure philosophale d'époque renaissance. Par "philosophale" Fulcanelli entend une demeure renfermant des symboles enseignants l'art de l'alchimie.
Cette demeure contient une magnifique petite pièce rectangulaire, dite chapelle, au premier étage. Son plafond est constitué de trente caissons sculptés, disposés en trois rangées de dix. Les flammes figurent dans treize caissons, marquant leur prédominance dans la pensée de l'auteur du rébus en images, de ce plafond à énigme. Fulcanelli souhaite redonner les clés perdues. Mais est-ce la seule lecture possible ? Nous en proposerons une autre.
Avant de voir chaque caisson, plus bas dans cette page, découvrons le plafond dans son ensemble.
cliquer sur la photo pour voir un montage photo du plafond complet.
Pour Fulcanelli, dans son ouvrage de 1926 "le Mystère des Cathédrales", cet hôtel est "le témoignage irrécusable d'une science immense dont Jean Lallemant, alchimiste et chevalier de la Table ronde, possédait tous les secrets".
Sa lecture semble exclusive d'une autre interprétation : l'autre lecture plus probable, spiritualiste, de "L'énigme du plafond de l'hôtel Lallemant". Celle-ci dérangera les alchimistes dans leur lecture univoque de cet ensemble à caissons. Ils ne relèvent pas les erreurs de description contenues dans l'ouvrage de Fulcanelli concernant le plafond à caisson de l'hôtel Lallemant de Bourges, comme d'ailleurs sur certains médaillons de la cathédrale Notre-Dame de Paris. La page dédiée du site "l'Encyclopédie de Bourges" de M. Narboux ne fait malheureusement pas exception à cette remarque préliminaire.
Comment une description erronée peut-elle conduire à une juste interprétation ? La question n'est pas de douter de la compétence alchimique réelle ou supposée contenue dans l'ouvrage signé du pseudonyme mystérieux "Fulcanelli". La question est de savoir si une lecture alchimique fait vraiment partie intégrante de la conception même de l'ensemble des trente caissons de ce plafond.
Les deux lectures peuvent-elles coexister ?
Nous avons vu, à la page précédente, le but que se propose cette société "des chevaliers de la Table-Ronde" auxquels les trois Jean Lallemant furent affiliés. Une autre piste s'ouvre alors. Les caissons peuvent être interprétés autrement que par la lecture alchimique de Fulcanelli. L'une n'invalide pas l'autre.
Fulcanelli commente ainsi cette si curieuse chapelle :
"Véritable bijou, ciselé et guilloché avec amour par d’admirables artistes, cette pièce en longueur, si nous exceptons la fenêtre aux trois arcatures redentées conçues dans le style ogival, est à peine une chapelle. Toute l’ornementation est profane, tous les motifs qui la décorent sont empruntés à la science hermétique. Un superbe bas-relief peint, exécuté dans la manière du saint Christophe de la loggia, a pour sujet le mythe païen de la Toison d’or. Les caissons du plafond servent de cadre à de nombreuses figures hiéroglyphiques. Une jolie crédence du XVIe siècle propose une énigme alchimique. Pas une scène religieuse, pas un verset de psaume, pas une parabole évangélique, rien que le verbe mystérieux de l’Art sacerdotal ... Se peut-il qu’on ait officié dans ce cabinet de parure si peu orthodoxe, mais, par contre, si propice, en son intimité mystique, aux méditations, aux lectures, voire à la prière du Philosophe ? - Chapelle, studio ou oratoire ? Nous posons la question sans la résoudre." (Fin de citation).
Si Fulcanelli ne décrit que quelques uns de ces caissons, nous laissant le soin d'analyser les autres, il s'arrête longuement sur la petite crédence située au fond à droite de la chapelle. Cette crédence, enchâssée dans le mur, est destinée à recevoir les burettes, flacon contenant le vin et l'eau nécessaires à la célébration eucharistique de la messe.
Crédence murale de la chapelle des Lallemant
Cliquer sur la photo ci-dessus pour voir la crédence en haute définition. Vous y lirez la proposition d'une autre lecture, induite par l'examen d'enluminures de manuscrit des Lallemant. Nous découvrirons une invitation au dépouillement. A la suite se trouve le commentaire de Fulcanelli se rapportant à cette crédence.
La chapelle se développe d'est en ouest, selon un tracé rectangulaire allongé. En vis-à-vis de la porte, la fenêtre, verrière ogivale frappée du blason de la famille Lallemant, anime l'après-midi les murs et les caissons de pierre d'une lumière d'or.
Blason de Jean Lallemant
Vitrail de la chapelle, réalisé par Léon Jurie en 1926.
Vitrail d'origine de Jean Lallemant, provenant de l'hôtel Lallemant et réenchâssé dans l'église Saint Bonnet à Bourges.
Blason des frères Lallemant. British Library, manuscrit Harley 5301, folio 18 et 26. Statuts et armoiries des chevaliers de la table Ronde, de 1486 à 1533. Armorial des vingt cinq chevaliers.
La porte franchie, l'observateur découvre l'ordonnance des caissons. Ils se succèdent en dix rangées de trois, du fond obscur de la pièce vers la lumière, celle du jour ou celle acquise, comme l'indique le vingt-neuvième caisson, celui de la rose hermétique épanouie au milieu de la pièce. Sur la droite, se trouve le pilastre à tête de mort, à sa gauche lui répond celui aux dauphins. Les demi-pilastres qui se trouvent aux angles de la chapelle portent les attributs des quatre évangélistes.
Il faut avancer à reculons dans la pièce pour lire à l'endroit chacun des caissons, leur sommet étant invariablement tourné vers la verrière, ce qui a pour effet d'annuler le fâcheux contre-jour qui aurait résulté d'une situation inverse.
Le commentaire écrit par Fulcanelli se trouve à la suite des photos. D'autres sculptures remarquables, dans cette chapelle ou ailleurs dans l'édifice, sont vues au bas de cette page.
Cliquer sur chaque photo pour l'agrandir et accéder à une page de commentaire.
Fulcanelli nous décrit d'une manière extrêmement succinte, lapidaire, voire à la va-vite, dix sept des trente caissons, dans son ouvrage "Le mystère des cathédrales." Voici le texte complet concernant ces seuls caissons :
"Notre intention n’est point d’analyser par le menu toutes les images qui décorent les caissons de ce plafond modèle dans le genre. Le sujet, fort étendu, nécessiterait une étude spéciale et nous obligerait à de fréquentes redites. Nous nous bornerons donc à en donner une rapide description et à résumer ce qu’expriment les plus originaux.
Parmi ceux-ci, nous signalerons tout d’abord le symbole du soufre et son extraction hors de la matière première, dont le graphique est fixé, ainsi que nous venons de l’apprendre, sur chacun des piliers engagés.
C’est une sphère armillaire, posée sur un fond ardent, et qui offre la plus grande ressemblance avec l’une des gravures du traité de l’Azoth. Ici, le brasier tient la place d’Atlas, et cette image de notre pratique, très instructive par elle-même, nous dispense de tout commentaire.
Non loin de là, une ruche commune, en paille, est figurée entourée de ses abeilles, sujet fréquemment reproduit, particulièrement sur le poêle alchimique de Winterthur. Voici, – quel singulier motif pour une chapelle ! – un jeune enfant urinant à plein jet dans son sabot.
Là, le même bambin, agenouillé près d’une pile de lingots plats, tient un livre ouvert, tandis qu’à ses pieds gît un serpent mort. – Devons-nous arrêter ou poursuivre ? – Nous hésitons. Un détail situé dans la pénombre des moulures, détermine le sens du petit bas-relief ; sur la plus haute pièce de l’amas figure le sceau étoilé du roi mage Salomon. En bas, le mercure ; en haut, l’Absolu. Procédé simple et complet qui ne comporte qu’une voie, n’exige qu’une matière, ne réclame qu’une opération. " Celui qui sait faire l’Œuvre par le seul mercure a trouvé ce qu’il y a de plus parfait." Tel est du moins ce qu’affirment les plus célèbres auteurs. C’est l’union des deux triangles du feu et de l’eau, ou du soufre et du mercure assemblés en un seul corps, qui génère l’astre à six pointes, hiéroglyphe de l’Œuvre par excellence et de la Pierre Philosophale réalisée.
A côté de cette image, une autre nous présente un avant-bras enflammé dont la main saisit de grosses châtaignes ou marrons, plus loin le même hiéroglyphe, sortant du roc, tient une torche allumée.
C’est la corne d’Amalthée, toute débordante de fleurs et de fruits, qui sert de perchoir à la géline ou perdrix, – l’oiseau en question étant peu caractérisé ; mais, que l’emblème soit la poule noire ou la perdrix rouge, cela ne change rien à la signification hermétique qu’il exprime. Voici maintenant un vase renversé, échappé, par rupture de lien, à la gueule d’un lion décoratif qui le tenait en équilibre : c’est une version originale du solve et coagula de Notre-Dame de Paris."
Un second sujet, peu orthodoxe et assez irrévérencieux, suit de près : c’est un enfant essayant de briser un rosaire sur son genou. Plus loin, une large coquille, notre mérelle, montre une masse fixée sur elle et ligaturée au moyen de phylactères spiralés. Le fond du caisson qui porte cette image répète quinze fois le symbole graphique permettant l’identification exacte du contenu de la coquille. Le même signe, - substitué au nom de la matière, - apparaît dans le voisinage, en grand cette fois, et au centre d’une fournaise ardente.
Dans une autre figure, nous retrouvons l’enfant, – qui nous paraît jouer le rôle de l’artiste, – les pieds posés dans la concavité de la fameuse mérelle, et jetant devant lui de minuscules coquilles issues, semble-t-il, de la grande. Nous remarquons aussi le livre ouvert, dévoré par le feu, la colombe auréolée, radiante et flamboyante, emblème de l’Esprit, le corbeau igné, juché sur le crâne qu’il becquète, figures assemblées de la mort et de la putréfaction, l’ange "qui fait tourner le monde" à la façon d’une toupie, sujet repris et développé dans un petit livre intitulé : Typus Mundi, œuvre de quelques Pères Jésuites, la calcination philosophique, symbolisée par une grenade soumise à l’action du feu dans un vase d’orfèvrerie, au-dessus du corps calciné, on distingue le chiffre 3 suivi de la lettre R, qui indiquent à l’artiste la nécessité des trois réitérations du même procédé, sur laquelle nous avons déjà plusieurs fois insisté.
Enfin, l’image suivante représente le ludus puerorum commenté dans la Toison d’or de Trismosin et figuré d’une manière identique : un enfant fait caracoler son cheval de bois, le fouet haut et la mine réjouie." (Fin de citation)
Fulcanelli mentionne dans cette chapelle d'autres éléments symboliques : les deux chapiteaux des pilastres médians portant dauphins et tête de mort, et le bas-relief placé au dessus de la porte d'entrée, la toison d'or.
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A l'entrée de l'hôtel particulier Fulcanelli étudie une autre sculpture, porteuse d'un sens important. Dans la loggia de la cour intérieure, un autre bas-relief enchâssé dans le mur retient aussi son attention, un Saint Christophe portant sur son épaule l'enfant Jésus pour lui faire franchir un torrent impétueux.
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