Fulcanelli à l'hôtel Lallemant, la grenade ignée
Caisson 23, la grenade ignée dans son vase
Fulcanelli nous décrit ce caisson : " la calcination philosophique, symbolisée par une grenade soumise à laction du feu dans un vase dorfèvrerie ; au-dessus du corps calciné, on distingue le chiffre 3 suivi de la lettre R, qui indiquent à lartiste la nécessité des trois réitérations du même procédé ".
Quel est ce vase et à quel usage peut-il bien servir ? Est-ce une coupe ? Une coupe permet de recevoir un liquide et de le boire en le portant à ses lèvres.
" La goutte qui fait déborder le vase ", " boire la coupe jusquà la lie ", " il y a loin de la coupe aux lèvres ", " gagner la coupe " montre, à travers cette sagesse, la popularité de ces vases dont les orfèvres, émailleurs et céramistes firent des chefs duvre. A chaque usage correspond une forme particulière.
Une coupe de victoire, par exemple, aura deux anses typiques qui longeront ses flancs sur toute leur hauteur afin de pouvoir lélever haut sur la tête. Cest le cadeau par excellence que lon offre au vainqueur dune compétition. Autre est la coupe qui sert à boire car elle nécessite une prise en main différente. Cest celle qui est ici représentée.
Le pied fortement évasé et à bords remontants assure une stabilité maximum et permet de récupérer le liquide qui viendrait à goutter le long de la paroi. Des feuilles dacanthe le décorent, signifiant comme celles sculptées sur les anciennes tombes grecques que le liquide contenu ici préfigure léternité. Au dessus se trouve un pommeau constitué dun bourrelet qui permet la préhension. Celui-ci est constitué dune rangée de cercles qui semble représenter des chatons émaillés - style rendu célèbre par les ateliers démailleurs toscans du Trecento -. Puis se tient la partie conique destinée à recevoir le liquide.
Mais pourquoi une coupe dune telle magnificence, pourquoi un tel travail dorfèvre, alors quun très large rebord plat, dans sa partie supérieure, empêche de porter celle-ci aux lèvres ?
La difficulté se lève si on comprend qu'un autre objet est posé dessus.
Cet objet particulier ne peut être alors quune "patène", vase sacré en forme de petite assiette qui sert à recevoir lhostie. La coupe, ou calice, quant à elle, contient le vin lors de la célébration eucharistique de la messe. En effet, la forme de la patène lui permet de se poser sur le calice, de semboiter sur lui, afin déviter une chute lors de leur transport par le diacre de la crédence vers lautel où le prêtre les dissociera pour célébrer le rituel.
Ce "vase dorfèvrerie" est donc un vase double, calice et patène, qui servira à élever vers le Créateur le pain et le vin afin quils soient transsubstanciés en corps et sang du Christ lors de la "consécration" eucharistique.
A gauche la grenade ignée dans son vase. A droite l'hostie dans sa patène, placées sur le calice.
Un rappel à ce sujet peut être utile : le pain qui constitue lhostie est spécial : sa farine nest pas mélangée avec de la levure pour que la pâte ne lève pas. Ce pain est dit "azyme" ou sans vie car il na pas subit de fermentation. De la même manière le vin de messe est un jeune vin blanc dont la fermentation nest pas achevée. Ces produits sont alors prêts pour la "consécration", prêts à devenir le réceptacle matériel de lEsprit de Dieu, du Christ, qui descend en eux en leur insufflant lEsprit, la fermentation divine, la vie éternelle.
Ces vases sont sacrés et ne doivent pas être touchés par les profanes. Ils sont en métal précieux pour ne pas souiller le contenu. On évoquerait aujourdhui linoxydabilité.
Lhostie de célébration est plus grande que celle donnée aux fidèles afin dêtre vue par tous. Cest ici le cas, recouvrant toute la patène. Or les flammes qui entourent ce corps le montrent sphérique. Il prend laspect de ces grenades ignées dont on peut toucher la sphéricité du doigt dans la crédence au fond de la chapelle.
La grenade remplace volontairement lhostie, par la magie de la taille du sculpteur. Celui-ci donne un léger relief à l'hostie, la transformant en grenade. La forme des flammes achève de donner l'illusion d'une boule posée dans un vase creux, et non un objet circulaire posé à plat sur une sorte d'assiette.
Pourquoi une grenade ? Ce fruit est remarquable par la très grande quantité de graines quil contient. Pour cette raison les peintres de la Renaissance italienne le font figurer dans la main de Jésus enfant comme symbole des innombrables souffrances quil devra endurer. Le peintre Botticelli en donne une illustration dans son tableau, datée de 1485, la Madone et les six anges appelé aussi la Madone à la grenade.
Dune manière plus profane, cette prolifération de graines symbolise labondance, la multiplicité, lexubérance de la nature ou dun produit mûr prêt à essaimer, le grenadier étant " larbre à graine " par excellence.
Dans cet anachronisme réside peut-être lenseignement de ce caisson qui devait sembler presque blasphématoire aux contemporains de cet édifice. Pour eux, en effet, l'identification des deux vases sacrés, calice et patène, devait être instantanée.
L'hostie et le vin consacrés lors de la messe sont la figuration catholique du feu dans la matière, du feu animateur. Des flammes ondulées, dans le plus pur style de l'hôtel Lallemant, décorent le calice et la patène montrés ci-dessus. Ils appartiennent à Louis de Bourbon, évêque d'Avranches, ville située à côté du Mont Saint Michel, en Normandie. Cet évêque, décédé en 1510, est le fils d'une fille de Charles VII, roi de France, notre "petit roi de Bourges" où il vécut plusieurs années. Le fils Jean Lallemant, dit l'aîné, est alors receveur de Normandie. La construction de l'hôtel Lallemant est achevée à son époque. Ont-ils pu ne pas se rencontrer ?
Deux autres variantes de la figuration du calice, en 1250 et en 1995
Le calice est l'objet de nombreuses variations symboliques par les artistes et leur commanditaire.
A gauche, sur ce vitrail de la cathédrale de Sens, vers 1250, le flanc du Christ, percé par la lance de Longin, laisse s'écouler de l'eau et du sang que recueille le calice élevé par Marie-Madeleine. Le Soleil, visible sur ce détail, et la Lune s'occultent lorsque le Christ rend l'âme. Leur influs est-il recueilli à travers le sang et l'eau dans ce calice qu'une tradition identifie au Graal ? Ce Graal où la Lune et le Soleil se baignent est représenté par Bruno Marmol, illustrateur de l'ouvrage d'alchimie d'Emmanuel d'Hooghvorst, alchimiste belge, "Le fil de Pénélope" en 1995. Le pommeau du calice, qui sert à sa préhension, est bien visible sur le calice de Louis Bourbon. Ce pommeau devient la rouelle compagnonnique sur le vitrail de Sens et la roue des étoiles sur l'illustration de Bruno Marmol.
Ces deux exemples renforcent le double sens de lecture du calice et de la patène de Jean Lallemant dont le volume donné à l'hostie par le sculpteur la transforme en grenade.
Situé dans laxe médian du plafond le caisson de la grenade ignée suit celui de la rose, "quintessence", et celui de la colombe ignée, symbole chrétien de lEsprit-Saint. Ces trois caissons ont trait à lEsprit, vers lequel ces vases se tournent.
Fulcanelli indique que les "3" et "R" inscrits indiquent la nécessité "de la triple réitération" d'un même procédé. Une autre lecture s'impose également. Jean Lallemant, le fils aîné, se fait faire un "livre d'heures" (prières à dire selon les heures du jour) par un enlumineur, comme tous les puissants de son temps.
Livre d'heures de Jean Lallemant, dit l'aîné
Sur le dossier du roi, les 3 et R s'alternent en oblique. Ce sont les chiffres de Jean Lallemant. Le 3 est un E inversé, que l'on retrouve ailleurs. Le blason, entre les deux cornes d'abondance bleues, est celui de Jean Lallemant. Sans doute, nulle alchimie ici, dans ce manuscrit. En est-il de même du fond du caisson et de la crédence ?