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Palais Jacques Coeur

La Nymphe céleste, héraut de Jacques Coeur

 

 

Située sous la salle du trésor de la tour médiévale, cette pièce étonne le visiteur. Un lavis aux tons bleus recouvre les murs de fausses tentures, noeuds et cordons dans un style XVIIIème siècle. Il encadre une splendide cheminée monumentale. Celle-ci date de la construction de la Grand Maison de Jacques Coeur.

 

La nymphe du palais Jacques Coeur à Bourges

 

 

Cette cheminée porte un linteau sculpté qui concentre tout l'intérêt de la pièce. Nous retrouvons notre Nymphe céleste, Reine du ciel, vue à l'étage au dessus dans la salle du trésor. Etudions ses attributs ainsi que ceux qui ont été mutilés.

Prenez le temps de regardez attentivement la photo ci-dessous. Dénombrez les mutilations. La photo suivante, identique, les entoure de rouge. Enfin, en bas de page, une troisième photo propose une restauration de ce tympan, d'aprés les éléments mutilés restants, mais identifiables.

 

La nymphe céleste du palais Jacques Coeur

 

Les mutilations de la nymphe céleste, héraut de Jacques Coeur

 

 

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Examinons d'abord ce qui est visible, la plus grande partie de la composition. Une femme, reconnaissable à sa poitrine, sa chevelure sur sa nuque et sa robe, se tient debout face à nous, le visage tourné à sa droite. Deux ailes immenses, déployées, partent de son dos. Elles sont intactes. Cette femme ailée est donc une Nymphe céleste. Elle vient habiter, habiller de son âme, la Grand Maison de Jacques Coeur.

Bizarrement, deux grande plumes sont fichées sur l'embase des ailes. Quelle est le sens de cette bizarrerie ? Nous retrouvons ces deux plumes fichées en terre, encadrant un végétal, sculptées au tympan de la porte menant de la cour à la salle d'apparat, au rez-de-chaussée. Deux autres plumes sont également fichées en terre, au tympan de la porte d'entrée piétonnière, dans la rue.

 

Nymphe de Jacques Coeur, plume et couronne floral

Attribut de notre nymphe céleste : plume rémige, chevelure tressée, couronne foral sans diadème de pierrerie.

 

Comme mentionné dans les deux liens ci-dessus, ces plumes rémiges sont sans doute une clef de la réussite de Jacques Coeur, l'utilisation du pigeon voyageur comme messager.

Les pieds de notre nymphe, masqués par le bas de la robe, s'enfoncent dans un parterre d'osier tressé. Des fleurs sortent de ce jardin miniature, des pâquerettes blanches et des fleurs à cinq pétales doubles, les fleurs de lin, bleue, que nous avons vues sur le tympan de la porte d'entrée de la salle d'apparat, dans la cour.

 

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Alternance de pâquerettes et de fleurs de lin, dans ce jardin médiéval miniature où se souche la nymphe.

 

Les pâquerettes et les fleurs de lin alternent selon une rigueur géométrique. Les feuilles de lin ne recouvrent pas les petites fleurs blanches. Heureux jardin d'Eden. N'oublions pas que les fleurs sont des alphabets symboliques, comme le montre la photo ci-dessous. La partie sérieuse du montage provient du tableau de Van Eyck "l'Agneau mystique", peint peu d'années avant. Les lys signifient la pureté de la Vierge, les roses le sang du martyre à venir de son fils Jésus. La représentation est classique.

 

Montage : Dam aux lys et aux roses, Van Eyck, tableau de l'Agneau mystique

 

Les pâquerettes renvoient à la "reine pâquerette" rencontrée à la salle supérieure, dite du trésor. Les fleurs de lin complètent celles du tympan aux trois arbres de la cour d'honneur. La répétition de ces symboles confirment leur importance.

 

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Maintenant regardons les mutilations :

Première mutilation : le phylactère tenu dans ses mains est cassé, ainsi que son avant-bras droit. Il reste suffisament de texte pour le reconstituer en entier. Nous pouvons lire :

" A ....... S 2coeurs2.jpg (2003 octets)   RIENS   IM ... 8SSIbLE "

C'est la devise la plus connue de Jacques Coeur : "A vaillans coeurs, rien impossible". Notons qu'il y a deux coeurs et que "vaillans est au pluriel. Le "O" de "impossible" est un "8". Cette particularité se retrouve sur le tympan aux trois arbres, de gauche, dans la cour d'honneur. En effet sur le bandeau supérieur de ce tympan, le début de la deuxième devise de Jacques Coeur "de ma joie" est inscrit avec les deux mêmes détails incongrus. Le O est remplacé par un 8, comme si ce dernier devait être lu comme deux O, plus petits et empilés l'un sur l'autre. Cette lecture du double O suit la présence du double coeur, sur le tympan comme ici. Enfin, sur le tympan, figurent également l'alternance des pâquerettes et des fleurs de lin, entre les lettres du bandeau supérieur. Il y a bien une intention forte de rébus ou de cryptographie.

 

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Deuxième mutilation : à l'extérieur du phylactère, à droite et à gauche, une zone est arasée, détruisant les reliefs et figures. Cependant, les restes dessinent nettement une plante à feuilles oblongues, avec trois feuilles à droite et à gauche de chaque tige. Retrouverions nous là le lin et sa fleur, si présentes sur les tympans de la cour d'honneur ? C'est fortement probable, à défaut d'être sûr.

 

Les végétaux mutilés du tympan de la nymphe céleste

 

 

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Troisième mutilation : entre le bas de la robe et les extrémités du phylactère, à droite et à gauche, un bas-relief a été gratté. En regardant attentivement les parties restantes le contour général semble le même, de part et d'autre du bas de la robe.

Le contraste et la netteté du montage photo ci-dessous sont exagérés volontairement. Ainsi les restes des parties mutilées apparaissent. Regardez attentivement, vous distinguerez la forme des motifs disparus.

 

Les blasons mutilés du tympan de la nymphe céleste

Les motifs centraux du tympan de la nymphe céleste, martelés. Le coeur et la croix.

 

Un objet en forme de coeur est posé par sa pointe inférieure au sol. Une croix pattée, nettement visible à droite, surmonte le coeur. Malheureusement aucune trace de couleur ne subsite, pouvant aider à l'authentification.

Sans doute sommes nous en présence du hiéroglyphe vu sur le tympan de gauche de la porte aux trois tympans, menant à la chapelle du premier étage. Ce hiéroglyphe est le rébus graphique de Jacques Coeur, propriétaire de la Grand maison, condamné à mort en 1451 par ce roi qu'il avait tant aidé. Le rébus est une coquille Saint Jacques posée sur un coeur plus grand, se lisant phonétiquement "Jacques Coeur". Sur le coeur est fichée une croix pattée, certainement celle de l'ordre des Hospitaliers.

 

Coeur de Jacques Coeur surmonté de la croix des Hospitaliers

Rébus graphique de Jacques Coeur surmonté de la croix hospitalière

 

Jacques Coeur rend un immense service diplomatique à cet ordre et à son  grand maître, Jean de Lastic, comme expliqué sur une page précédente, "l'escalier aux trois tympans".

 

 

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Quatrième mutilation : Le milieu de la robe, entre le phylactère et le sol, montre des traces peu visibles de dégradation. Une ceinture pendante figurait-elle, portant des insignes se rapportant à Jacques Coeur ? Il faudrait trouver un équivalent peint sur un tableau des années 1450 pour comprendre quel objet pouvait être représenté, à défaut d'en avoir l'ornementation, donc le message graphique.

 

Cinquième et dernière mutilation : Le visage de la nymphe céleste est détruit. Seul la face avant subit le martelage. L'arrière du crâne, l'oreille gauche, la tresse de cheveux et l'arrière de sa couronne florale sont visibles. Le visage est-il celui d'une femme en vue à la cour ? Si oui, le nom d'Agnès Sorel s'impose. C'est elle que vous verrez dans la tentative de restitution du tympan.

 

 

Proposition de reconstitution du tympan, pour en chercher le sens.

Ces mutilations ont servi à faire disparaître le nom de son propriétaire, emprisonné et condamné à mort en 1451. L'accusation officielle d'empoisonnement de la maîtresse du roi, Agnés Sorel, ne fut pas longtemps retenu. La peine fut alors commuée en prison à vie d'où il put s'échapper, grace à son réseau.

 

Proposition de reconstitution du tympan de la nymphe céleste.

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Le visage est celui de la Vierge, dans le tableau dyptique de Melun de Jean Fouquet. Le peintre se sert du visage d'Agnès Sorel pour illustrer le visage de la Vierge Marie. Je le reprends ici, malgré le côté cireux du visage.

 

 

Pour conclure, quel message délivre ce tympan ?

Basons nous sur les éléments graphiques récurents, gravés ici mais également présents ailleurs dans le palais Jacques Coeur. Leur répétition valide leur importance : la devise dans le phylactère, le 8 mis pour deux O dans la devise, la nymphe céleste, les deux plumes rémiges, les plantes de lin, les pâquerettes, le coeur surmonté de la croix des Hospitaliers, répété ici deux fois.

 

Jacques Coeur affiche sa devise "A vaillans coeurs rien impossible", affirmant son titre de propriétaire de la maison. Dans cette fière devise, le coeur est à la fois le nom graphique de son patronyme et le symbole de la force, de l'engagement total, qualité dont Jacques Coeur le capitaine d'industrie est largement pourvu.

La nymphe céleste porte le phylactère où s'inscrit la devise du maître de la Grand Maison. Quel est le sens de cet être imaginaire ? La présence de la nymphe ailée est un signe céleste favorable. L'arcane X du Tarot, la Roue de Fortune, favorise Jacques Coeur pour ce temps. La nymphe porte sa destinée dans ses bras. Au sol les fleurs de lin poussent sous la protection de ses ailes, ainsi son commerce de tissus n'a rien à redouter. Les deux coeurs au sol surmontés de la croix pattée des Hospitaliers et chevaliers de Rhodes bénéficient également de cette protection du ciel. Heureux auspices. La médiation diplomatique en faveur des Hospitaliers et de son maître Jean de Lastic effectuée par Jacques Coeur doit lui procurer l'avantage des ports du Levant aux mains de cet Ordre, pour ses sept galées.

 

Galée de Jacques Coeur, avec son blason. Vitrail du palais

Un des navires de Jacques Coeur, appellés galées. Le seul vitrail restant parmi la centaine qui ornait les vitres de la Grand Maison. Ce vitrail est daté de 1444.

 

Ainsi ces éléments graphiques, rassemblés aux pieds de la nymphe, apparaissent comme un paradigme de la vie Jacques Coeur. Les fleurs de lin représentent son activité commerciale, le commerce des tissus. Il n'est pas fait mention de son activité de frappe de monnaie ni de son industrie métallifère. La frappe de monnaie lui laisse des souvenirs douloureux, il fut d'ailleurs condamné pour falsification du titre de métal précieux, au début de sa carrière. L'extraction d'argent dans les monts du lyonnais ne figure pas non plus, cette activité réclamant certainement la plus grande discrétion. Les coeurs frappés d'une coquille saint Jacques, rébus de son nom, figurent en bonne place autour de la nymphe. Il se met sous la protection de celle-ci, ainsi que son alliance avec les Hospitaliers et les chevaliers de Rhodes. La nymphe avait-elle les traits d'Agnès Sorel ? A défaut de réponse rappellons qu'Agnés Sorel, la Dame de Beauté (du nom d'un de ses châteaux) est sa véritable protectrice en cour auprés du roi Charles VII. Certainement, dans le coeur de Jacques Coeur, cette nymphe a les traits d'Agnès.

Les pâquerettes nous renvoient à la Reine pâquerette à l'étage au dessus, dans la salle du trésor. Cette hommage à la simplicité, à la vie, montre peut-être que Jacques Coeur n'a pas oublié les valeurs simples

Les deux plumes rémiges, sur les omoplates de cette nymphe démesurée, notre messagère céleste, rappellent ses pigeons voyageurs, l'orient, la communication rapide entre ses marchands. Ces plumes sont comme des gouvernails inversés des galées de Jacques Coeur.

 

Lorsqu'il fait halte en terre de Berry, Jacques Coeur n'oublie pas son jardin d'Eden, où le conduit le vent du large avec l'aide de cette nymphe céleste, son vaisseau secret.

Les deux croix des chevaliers Hospitaliers et de Rhodes, situées contre les jambes de la nymphe céleste, sont, hélas, un augure saisissant de la fin de Jacques Coeur, comme une prémonition.

 

Croix des chevaliers de St jean de Jérusalem, de Rhodes, Manuscrit de 1480

La croix sur le coeur de Jacques Coeur est identique à celle des Hospitaliers, des chevaliers de Rhodes, qui deviendra la croix des chevaliers de Malte

 

Jacques Coeur est emprisonné en 1451. En 1453 Constantinople est conquise par les Ottomans. Le monde chrétien vacille. Après trente neuf mois de détention, en octobre 1454, il réussit une évasion rocambolesque.

Poursuivi par les tueurs de Charles VII jusqu'au Rhône, à la limite du royaume de France, il ne doit sa survie qu'à l'intervention in-extremis d'un commando de marins au couvent des cordeliers de Baucaire. Il se réfugie à Rome, en Italie, en mars 1455 auprés du "pape humaniste" vieillissant Nicolas V dont il est l'ami. Celui-ci décède peu de jours aprés. Le nouveau pape Calixte III appelle, en vain, à une croisade contre les ottomans. Seul un don du duc de Bourgogne permet d'affrêter seize navires pour préserver Rhodes et Chypre. Jacques Coeur fait partie de cette flotte. Il a des responsabilités, malheureusement non connues. L' escadre maritime mène la guerre de course sur mer contre les les turcs, en mer Egée non loin de Rhodes, ville aidée par le passé par la diplomatie de Jacques Coeur. Ils viennent au secours des chevaliers de Rhodes qui, n'ayant plus de territoire en terre musulmane, mènent des batailles navales pour affaiblir la marine adverse et repousser le péril. L'avenir militaire est trés sombre.

 

Hélas, Jacques Coeur est blessé lors d'une bataille maritime.

 

Débarqué sur l'ile de Chio, il décède rapidement. Il est enterré dans un couvent de Cordeliers, aujourd'hui complètement disparu.

Ainsi finit en chevalier Hospitalier, si l'on peut dire, cet homme au destin exceptionnel qui sut toujours apprendre du présent pour élargir l'avenir. La fin de Jacques Coeur anticipe et résume seulement de quelques années la fin tragique de la présence chrétienne essaimée sur de multiples îles, dans l'orient de la méditerranée.

 

 

Quelques années plus tard les chevaliers de Rhodes demandent de l'aide aux corporations des bâtisseurs pour ôter les points faibles de la défense de Rhodes face aux assauts maritimes ottomans.

Dans l'extraordinaire manuscrit de Guuillaume Caoursin, daté de 1480 et représentant le siège de Rhodes, "le grand maître des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem, Pierre d'Aubusson, reçoit solennellement des Compagnons Tailleurs de Pierre et des Charpentiers (1)". Cette réprésentation du Compagnonnage est la plus ancienne connue.

En mer les navires sont représentés voiles dehors. C'est obligatoirement sur une escadre de ce type où fut blessé mortellement Jacques Coeur, et non loin de là.

 

Rhodes, réception des compagnons charpentiers et tailleurs

Manuscrit Latin 6067 de la BNF, Guillaume Caoursin, 1480, Réception des Compagnons bâtisseurs sur l'ile de Rhodes, en mer Egée, par le grand maître de l'ordre de Saint Jean de Jérusalem, Pierre d'Aubusson.

 

 

Le renforcement des défenses portuaires permet de repousser l'invasion ottomane de quarante ans. En 1522 le débarquement des armées de Soliman II s'achève par la défaite des chevaliers de Saint Jean de Jérusalem. Rhodes passe pour quatre siècles sous régime ottoman.

 

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Manuscrit Latin 6067 de la BNF, Guillaume Caoursin, 1480, le siège du port de Rhodes, en mer Egée. Les Ottomans portent un casque rond. Ils ont établi un camp de tentes le long du rivage et dressé leur artillerie.

 

Pour mieux comprendre le siège de Rhodes et son contexte politique, voyez une magnifique vidéo sur YouTube de quelques minutes, montrant des planches du manuscrit de Guillaume Caoursin commentées par un maître de conférence.

 

 

(1) René Lambert, Compagnon Provencal la Fidélité, "La Sainte Baume, le pélerinage des Compagnons du Devoir" p.98, Librairie du Compagnonnage, Paris, 1997

 

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