Fulcanelli

"Les demeures philosophales"

tome 2

 

Texte complet des chapitres du "Tombeau des gardes du corps de François II, duc de Bretagne"

 

 

La première des quatre statues que nous allons étudier est celle qui nous offre les divers attributs chargés de préciser l'expression allégorique de la Justice : lion, balance, épée. Mais, outre la signification ésotérique, nettement différente du sens moral qu'on affecte à ces attributs, la figure de Michel Colombe présente d'autres signes révélateurs de sa personnalité occulte. Il n'est détail, si infime soit-il qui puisse être négligé dans toute l'analyse de ce genre, sans avoir, au préalable, été sérieusement examiné. Or, le surcot d'hermine que porte la Justice est bordé de roses et de perles. Notre Vertu a le front ceint d'une couronne ducale, ce qui a pu laisser croire qu'elle reproduisait les traits d'Anne de Bretagne; l'épée qu'elle tient de la dextre a son pommeau orné d'un soleil rayonnant ; enfin, et c'est là ce qui la caractérise au premier chef, elle apparaît ici dévoilée. Le péplum qui la recouvrait toute entière a glissé du corps ; retenu par la saillie des bras, il vient doubler le manteau dans sa partie inférieure. Le glaive même a quitté son fourreau de brocard, que l'on voit maintenant suspendu à la pointe du fer

 

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Comme l'essence même de la justice et sa raison d'être exigent qu'elle n'ait rien de caché, que la recherche et la manifestation de la vérité l'obligent de se montrer à tous dans la pleine lumière de l'équité, le voile, retiré à demi, doit nécessairement révéler l'individualité secrète d'une seconde figure, adroitement dissimulée sous la forme et les attributs de la première. Cette seconde figure n'est autre que la Philosophie.

Dans l'antiquité romaine, on appelait peplum (en grec peploV ou pepla un voile orné de broderie dont on habillait la statue de Minerve, fille de Jupiter, la seule déesse dont la naissance fût merveilleuse. La fable dit, en effet, qu'elle sortit tout armée du cerveau de son père, auquel Vulcain, sur l'ordre du maître de l'Olympe, avait fendu la tête. De là son nom hellénique d'Athéné, Aqhna, formé de a privatif, et tiqhnh  nourrice, mère, signifiant née sans mère. Personnification de la Sagesse, ou Connaissance des choses, Minerve doit être regardée comme la pensée divine et créatrice, matérialisée dans toute la nature, latente en nous ainsi qu'en tout ce qui nous entoure. Mais c'est d'un vêtement féminin, d'un voile de femme ((((((((), qu'il est ici question, et ce mot nous fournit une autre raison du péplum symbolique. (((((((, vient de ((((((( couvrir, envelopper, cacher, qui a formé (((((, bouton de rose, fleur, et aussi ((((((, nom grec de la nymphe Calypso, reine de l'île mythique d'Ogyrie, que les Hellènes nommaient '(((((((, terme voisin de '((((((, lequel a le sens d'antique et de grand. Nous retrouvons ainsi la rose mystique, du Grand Œuvre , plus connue sous le vocable de pierre philosophale. De sorte qu'il est facile de saisir le rapport existant entre l'expression du voile et celle des roses et des perles ornant le surcot de fourrure, puisque cette pierre est encore appelée perle précieuse (Margarita pretiosa). " Alciat, nous apprend Fr. Noël, représente la Justice sous les traits d'une vierge dont la couronne est d'or et la tunique blanche, recouverte d'une ample draperie de pourpre. Son regard est doux et son maintien modeste. Elle porte sur la poitrine un riche joyau, symbole de son prix inestimable, et pose le pied gauche sur une pierre carrée. " On ne saurait mieux décrire la double nature du Magistère, ses couleurs, la haute valeur de cette pierre cubique, qui porte la Philosophie toute entière, masquée, pour le vulgaire, sous les traits de la Justice.

La Philosophie confère à l'épouse une grande puissance d'investigation. Elle permet de pénétrer l'intime complexion des choses, qu'elle tranche comme avec l'épée, y découvrant la présence du spiritus mundi dont parlent les maîtres classiques, lequel a son centre dans le soleil et tire ses vertus et son mouvement du rayonnement de l'astre. Elle donne encore la connaissance des lois générales, des règles, du rythme et des mesures que la nature observe dans l'élaboration, l'évolution et la perfection des choses crées (balance). Elle établit, enfin, la possibilité d'acquisition des sciences sur la base de l'observation, de la méditation, de la foi et de l'enseignement écrit (livre). Par les mêmes attributs, cette image de la Philosophie nous renseigne, en second lieu, sur les points essentiels du labeur des Adeptes, et proclame la nécessité du travail manuel imposé aux chercheurs désirant acquérir la notion positive, la preuve indiscutable de sa réalité. Sans recherches techniques, sans essais fréquents ni expériences réitérées, on ne peut que s'égarer dans une science dont les meilleurs traités cachent avec soin les principes physiques, leur application, les matériaux et le temps. Celui donc qui ose se prétendre philosophe et ne veut labourer par crainte du charbon, de la fatigue et de la dépense, celui-là doit être regardé comme le plus vaniteux des ignorants ou le plus effronté des imposteurs. " Je puis rendre témoignage, a dit Augustin Thierry, qui de ma part ne sera pas suspect : il y a au monde quelque chose qui vaut mieux que les jouissances matérielles, mieux que la fortune, mieux que la santé elle-même, c'est le dévouement à la science. " L'activité du sage ne se mesure pas aux résultats de propagande spéculative ; elle se contrôle auprès du fourneau, dans la solitude et le silence du laboratoire, non ailleurs ; elle se manifeste sans réclame ni verbiage, par l'étude attentive, l'observation précise, persévérante, des réactions et des phénomènes. Qui agit autrement vérifiera, tôt ou tard, la maxime de Salomon (Prov.,XXI, 25), disant que " le désir du paresseux le fera périr, parce que ses mains refusent de travailler ". Le véritable savant ne recule devant aucun effort ; il ne craint pas la souffrance, parce qu'il sait quelle est la rançon de la science, et qu'elle seule lui fournit le " moyen d'entendre les sentences et leur interprétation, les paroles des sages et leurs discours profonds " (Prov., I, 6).

En ce qui concerne la valeur pratique des attributs affectés à la Justice, lesquels regardent le travail hermétique, l'étudiant trouvera par expérience que l'énergie de l'esprit universel a sa signature dans le glaive, et que le glaive a sa correspondance dans le soleil, comme étant l'animateur et le modificateur perpétuel de toutes les substances corporelles. C'est lui l'unique agent des métamorphoses successives de la matière originelle, sujet et fondement du Magistère. C'est par lui que le mercure se change en soufre, le soufre en Elixir et l'Elixir en Médecine, recevant alors le nom de Couronne du sage, parce que cette triple mutation confirme la vérité de l'enseignement secret et consacre la gloire de son heureux artisan. La possession du soufre ardent et multiplié, masqué sous le terme de pierre philosophale, est pour l'Adepte ce qu'est la trirègne pour le pape et la couronne pour le monarque : l'emblème majeur de la souveraineté et de la sagesse.

Nous avons eu, à maintes fois déjà, l'occasion d'expliquer le sens du livre ouvert, caractérisé par la solution radicale du corps métallique, lequel, ayant abandonné ses impuretés et cédé son soufre, est alors dit ouvert. Mais ici une remarque s'impose. Sous le nom de liber et sous l'image du livre, adoptés pour qualifier la matière détentrice du dissolvant, les sages ont entendu désigner le livre fermé, symbole général de tous les corps bruts, minéraux ou métaux, tels que la nature nous les fournit ou que l'industrie humaine les livre au commerce. Ainsi, les minerais extraits du gîte, les métaux sortis de la fonte, sont exprimés hermétiquement par un livre fermé ou scellé. De même, ces corps, soumis au travail alchimique, modifiés par application de procédés occultes, se traduisent en iconographie à l'aide du livre ouvert. Il est donc nécessaire, dans la pratique, d'extraire le mercure du livre fermé qu'est notre primitif sujet, afin de l'obtenir vivant et ouvert, si nous voulons qu'il puisse à son tour ouvrir le métal et rendre vif le soufre inerte qu'il renferme. L'ouverture du premier livre prépare celle du second. Car il y a, cachés sous le même emblème, deux livres fermés (le sujet brut et le métal) et deux livres ouverts (le mercure et le soufre), bien que ces livres hiéroglyphiques n'en fassent réellement qu'un seul, puisque le métal provient de la matière initiale et que le soufre prend son origine du mercure.

Quant à la balance, appliquée contre le livre, il suffirait de noter qu'elle traduit la nécessité des poids et des proportions pour se croire dispensé d'en parler davantage. Or; cette image fidèle de l'ustensile servant aux pesées, et auquel les chimistes assignent une place honorable dans leurs laboratoires, recèle cependant un arcane de haute importance. C'est la raison qui nous oblige d'en rendre compte et d'indiquer brièvement ce que la balance dissimule sous l'aspect anguleux et symétrique de sa forme.

Lorsque les philosophes envisagent les rapports pondéraux des matières entre elles, ils entendent parler de l'une ou de l'autre partie d'une double connaissance ésotérique : celle du poids de nature et celle des poids de l'art1. Malheureusement, les sages, dit Salomon, cachent la science ; tenus de rester dans les limites étroites de leur vœu, et respectueux de la discipline acceptée, ils se gardent bien de jamais établir nettement en quoi diffèrent ces deux secrets. Nous ferons en sorte d'aller plus loin qu'eux et dirons, en toute sincérité, que les poids de l'art son applicables exclusivement aux corps distincts, susceptibles d'être pesés, tandis que le poids de nature se réfère aux proportions relatives des composants d'un corps donné. De sorte que, décrivant les quantités réciproques de matières diverses, en vue de leur mélange régulier et convenable, les auteurs parlent véritablement des poids de l'art ; au contraire, s'il est question de valeurs quantitatives au sein d'une combinaison synthétique et radicale, - comme celle du soufre et du mercure principes unis dans le mercure philosophique, - c'est le poids de nature qui est alors considéré. Et nous ajouterons, afin d'ôter toute confusion dans l'esprit du lecteur, que si les poids de l'art sont connus de l'artiste et rigoureusement déterminés par lui, en revanche, le poids de nature est toujours ignoré, même des plus grands maîtres. C'est là un mystère qui relève de Dieu seul et dont l'intelligence demeure inaccessible à l'homme.

L'Œuvre débute et s'achève par les poids de l'art ; ainsi l'alchimiste, préparant la voie, incite la nature à commencer et à parfaire ce grand labeur. Mais, entre ces deux extrémités, l'artiste n'a point à se servir de la balance, le poids de nature intervenant seul. A telle enseigne que la fabrication du mercure commun, celle du mercure philosophique, les opérations connues sous le terme d'imbibitions, etc., se font sans qu'il soit possible de savoir, - même approximativement, - quelles sont les quantités retenues ou décomposées, quel est le coefficient d'assimilation de la base, de même que la proportion des esprits. C'est ce que le Cosmopolite laisse entendre lorsqu'il dit que le mercure ne prend pas plus de soufre qu'il n'en peut absorber et retenir. En d'autres termes, la proportion de matière assimilable, dépendant directement de l'énergie métallique propre, reste toujours variable et ne saurait s'évaluer. Tout l'ouvrage est donc soumis aux qualités, naturelles ou acquises, tant de l'agent que du sujet initial. Or, en supposant même l'agent obtenu avec un maximum de vertu, - ce qui est rarement atteint, - la matière basique, telle que nous l'offre la nature, est fort éloignée d'être constamment égale et semblable à elle-même. Nous dirons à ce propos, pour en avoir souvent contrôlé l'effet, que l'assertion des auteurs fondée sur certaines particularités externes, - taches jaunes, efflorescences, plaques ou points rouges, - ne mérite guère d'être prise en considération. La région minière pourrait plutôt fournir quelques indications sur la qualité recherchée, quoique plusieurs échantillons, prélevés dans la masse du même gîte, révèlent parfois entre eux de notables différences.

Ainsi s'expliquera-t-on, sans recourir aux influences abstraites ni aux interventions mystiques, que la pierre philosophale, en dépit d'un travail régulier, conforme aux nécessités naturelles, ne laisse jamais entre les mains de l'ouvrier un corps de puissance égale, d 'énergie transmutatoire en rapport direct et constant avec la quantité de matières mises en œuvre.

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IV

 

Voici, à notre avis, le chef-d'œuvre de Michel Colombe et la pièce capitale du tombeau des Carmes. " A elle seule, écrit Léon Palustre, cette statue de la Force suffirait à la gloire d'un homme, et l'on ne peut se défendre, en la contemplant, d'une vive et profonde émotion. " La majesté de l'attitude, la noblesse de l'expression, la grâce du geste, - que l'on souhaiterait plus vigoureux, - sont autant de caractères révélateurs d'une maîtrise consommée, d'une incomparable habileté de facture.

Le chef couvert d'un morion plat, au mufle de lion en tête, le buste revêtu du halecret finement ciselé, la Force soutient une tour de la main gauche et, de la droite, en arrache, - non un serpent comme le portent la plupart des descriptions, - mais un dragon ailé, qu'elle étrangle en lui serrant le col. Une ample draperie aux longues franges, dont les replis portent sur les avant-bras, forme une boucle dans laquelle passe l'une de ses extrémités. Cette draperie, qui, dans l'esprit du statuaire, devait recouvrir l'emblématique Vertu, vient confirmer ce que nous avons dit précédemment. De même que la Justice, la Force apparaît dévoilée

 

 

(pl. XXXVIII)

 

Fille de Jupiter et de Thémis, sœur de la Justice et de la Tempérance, les Anciens l'honoraient comme une divinité, sans toutefois agrémenter ses images des attributs singuliers que nous lui voyons présenter aujourd'hui. Dans l'antiquité grecque, les statues d'Hercule, avec la massue du héros et la peau de lion de Némée, personnifiaient à la fois la force physique et la force morale. Les Egyptiens, eux, la représentaient par une femme de complexion puissante, ayant deux cornes de taureau sur la tête et un éléphant à son côté. Les modernes l'expriment de façons très diverses. Botticelli la voit comme une femme robuste, simplement assise sur un trône ; Rubens lui adjoint un écu à figure de lion, ou la fait suivre d'un lion. Gravelot la montre écrasant des vipères, une peau de lion jetée sur les épaules, le front ceint d'une branche de laurier et tenant un faisceau de flèches, tandis qu'à ses pieds sont des couronnes et des sceptres. Anguier, dans un bas-relief du tombeau de Henri de Longueville (Louvre), se sert, pour définir la Force, d'un lion dévorant un sanglier. Coysevox (balustrade de la cour de marbre à Versailles) la revêt d'une peau de lion et lui fait porter un rameau de chêne d'une main, et la base d'une colonne de l'autre. Enfin, parmi les bas-reliefs qui décorent le péristyle de l'église Saint-Sulpice, la Force est figurée armée de l'épée flamboyante et du bouclier de la Foi.

En toutes ces figures et en quantité d'autres dont l'énumération serait fastidieuse, on ne trouve point d'analogie, sous le rapport des attributs, avec celles de Michel Colombe et des sculpteurs de son temps. La belle statue du tombeau des Carmes prend, de ce fait, une valeur spéciale et devient pour nous la meilleure traduction du symbolisme ésotérique.

On ne peut raisonnablement nier que la tour, si importante dans la fortification médiévale, renferme un sens nettement défini, quoique nous n'ayons pu en découvrir nulle part d'interprétation. Quant au dragon, on connaît mieux sa double expression : au point de vue moral et religieux, c'est la traduction de l'esprit du mal, démon, diable ou Satan ; pour le philosophe et l'alchimiste, il a toujours servi à représenter la matière première, volatile et dissolvante, autrement appelée mercure commun. Hermétiquement, on peut donc considérer la tour comme l'enveloppe, le refuge, l'asile protecteur, - les minéralogistes diraient la gangue ou la minière, - du dragon mercuriel. C'est d'ailleurs la signification du mot grec ((((((, tour, asile, refuge. L'interprétation serait encore plus complète si l'on assimilait à l'artiste la femme qui extirpe le monstre de son repaire, et son geste mortel au but qu'il doit se proposer dans cette pénible et dangereuse opération. Ainsi, du moins, pourrions-nous trouver une explication satisfaisante et pratiquement vraie, du sujet allégorique servant à révéler le côté ésotérique de la Force. Mais il nous faudrait supposer connue la science secrète à laquelle se réfèrent ces attributs. Or, notre statue se charge elle-même de nous renseigner à la fois sur sa portée symbolique et sur les branches connexes de ce tout qu'est la sagesse, figurée par l'ensemble des Vertus cardinales. Si l'on avait demandé au grand initié que fut François Rabelais quelle était son opinion, celui-ci eût certainement répondu, par la voix d'Epistémon3, que tour de fortification ou de chasteau fort c'est autant dire que tour de force ; et tour de force réclame " couraige, sapience et puissance : couraige, pource que dangier y a ; sapience, car deuë connoissance y est nécessairment requise ; puissance, car cil qui oncques ne peult, rien entreprendre ne doibt. " D'autre part, la cabale phonétique, qui fait du mot français tour l'équivalent de l'attique ((((((, vient compléter la signification pantagruélique du tour de force4. En effet (((((( est mis et employé pour (( (((( ; (( (lequel, ce qui), (((( (but, terme, objet que l'on se propose) marquant ainsi la chose qu'il faut atteindre, ce qui est le but proposé. Rien, on le voit, ne saurait mieux convenir à l'expression figurée de la pierre des philosophes, dragon enclos en sa forteresse, dont l'extraction fut toujours tenue pour un véritable tour de force. L'image d'ailleurs, est parlante ; car si l'on éprouve quelque peine à comprendre comment le dragon, robuste et volumineux, ait pu résister à la compression exercée entre les parois de son étroite prison, on ne saisit pas davantage par quel miracle il passe tout entier à travers une simple lézarde de la maçonnerie. Là encore se reconnaît la version du prodige, du surnaturel et du merveilleux.

Signalons enfin que la Force porte encore d'autres empreintes de l'ésotérisme qu'elle reflète. La tresse, nommée en grec (((((, est adoptée pour figurer l'énergie vibratoire, parce que, chez les anciens peuples hellénique, le soleil s'appelait ((((. Les écailles imbriquées sur la gorgerette du halecret sont celles du serpent, autre emblème du sujet mercuriel et réplique du dragon, écailleux lui aussi. Des écailles de poisson, disposées en demi-cercle, décorent l'abdomen et évoquent la soudure, au corps humain, d'une queue de sirène. Or, la sirène, monstre fabuleux et symbole hermétique, sert à caractériser l'union du soufre naissant, qui est notre poisson, et du mercure commun, appelé vierge, dans le mercure philosophique ou sel de sagesse. Le même sens nous est fourni par la galette des rois, à laquelle les Grecs donnaient le même nom qu'à la lune : (((((( ; ce mot, formé des racines (((((, éclat, et (((, lumière solaire, avait été choisi par les initiés pour montrer que le mercure philosophique tire son éclat du soufre, comme la lune reçoit sa lumière du soleil. Une raison analogue fit attribuer le nom de ((((((, sirène, au monstre mythique résultant de l'assemblage d'une femme et d'un poisson ; ((((((, terme contracté de ((((, soleil, et de ((((, lune, indique également la matière lunaire combinée à la substance sulfureuse solaire. C'est donc une traduction identique à celle du gâteau des rois, revêtu du signe de la lumière et de la spiritualité, - la croix, - témoignage de l'incarnation réelle du rayon solaire, émané du père universel, dans la matière grave, matrice de toutes choses, et terra inanis et vacua de l'Ecriture.

 

V

 

" Coiffé en matrone avec le gorgial ", - ainsi s'exprime Dubuisson-Aubenay dans son Itinéraire en Bretagne, en 1636, - la Tempérance de Michel Colombe est pourvue d'attributs semblables à ceux qui lui sont assignés par Cochin. Suivant ce dernier, elle est " habillée de vêtements simples, un mors avec sa bride dans une main, et, dans l'autre, le pendule d'une horloge ou le balancier d'une montre. " D'autres figures la présentent tenant un frein ou une coupe. " Assez souvent, dit Noël, elle paraît appuyée sur un vase renversé, avec un mors dans sa main, ou mélangeant du vin avec de l'eau. L'éléphant, qui passe pour l'animal le plus sobre, est son symbole. Ripa en donne deux emblèmes : l'un, d'une femme avec une tortue sur la tête, qui tient un frein et de l'argent ; l'autre, d'une femme dans l'action de tremper, avec des tenailles, un fer rouge dans un vase plein d'eau. "

De la main gauche, notre statue supporte la boîte ouvragée d'une petite horloge à poids, du modèle usité au XVIe siècle. On sait que les cadrans de ces appareils ne possédaient qu'une seule aiguille, ainsi qu'en témoigne cette belle figure de l'époque. L'horloge, qui sert à mesurer le temps, est prise pour l'hiéroglyphe du temps lui-même et regardée, ainsi que le sablier, comme l'emblème principal du vieux Saturne (pl. XXXIX).

Certains observateurs un peu superficiels ont cru reconnaître une lanterne dans l'horloge, aisément identifiable pourtant, de la Tempérance. L'erreur ne modifierait guère la signification profonde du symbole, car le sens de la lanterne complète celui de l'horloge. En effet, si la lanterne éclaire parce qu'elle porte la lumière, l'horloge apparaît comme la dispensatrice de cette lumière, laquelle n'est point reçue d'un jet, mais peu à peu, progressivement, au cours des ans et avec l'aide du temps. Expérience, lumière, vérité sont des synonymes philosophiques ; or, rien, sinon l'âge, ne peut permettre d'acquérir l'expérience, la lumière et la vérité. Aussi figure-t-on le Temps, seul maître de la sagesse, sous l'aspect d'un vieillard, et les philosophes dans l'attitude sénile et lasse d'hommes ayant longtemps travaillé à l'obtenir. C'est cette nécessité du temps ou de l'expérience que souligne François Rabelais, dans son Addition au dernier chapitre du cinquième livre de Pantagruel, lorsqu'il écrit : " Quand donc vos philosophes, Dieu guidant, accompagnant à quelque claire lanterne, se adonneront à soigneusement rechercher et investiguer (et de ceste qualité sont Herodote et Homere appelés Alphestes, c'est-à-dire rechercheurs et inventeurs), trouveront vraye estre la response faicte par le sage Thales à Amasis, roy des Ægyptiens, quand, par luy interrogé en quelle chose plus estoit de prudence, respondit : On temps ; car par temps ont esté et par temps seront toutes choses latentes inventées ; et c'est la cause pourquoy les anciens ont appelé Saturne le Temps, pere de Verité, et Verité fille du Temps. Infailliblement aussi trouveront tout le sçavoir, et d'eux et de leurs prédécesseurs, à peine estre la minime partie de ce qui est et ne le sçavent. "

Mais la portée ésotérique de la Tempérance gît tout entière dans la bride qu'elle tient de la main droite. C'est avec la bride que l'on dirige le cheval ; par le moyen de cette pièce, le cavalier impose à sa monture l'orientation qui lui plaît. On peut aussi considérer la bride comme l'instrument indispensable, le médiateur placé entre la volonté du cavalier et la marche du cheval vers l'objectif proposé. Ce moyen, dont on a choisi l'image parmi les parties constituantes du harnais, est désigné en hermétisme par le nom de cabale. De sorte que les expressions spéciales de la bride, celle de frein et celle de direction, permettent d'identifier et de reconnaître, sous une seule forme symbolique, la Tempérance et la Science cabalistique.

A propos de cette science, une remarque s'impose, et nous la croyons d'autant plus fondée que l'étudiant non prévenu assimile volontiers la cabale hermétique au système d'interprétation allégorique que les Juifs prétendent avoir reçu par tradition, et qu'ils dénomment Kabbale. En fait, il n'y a rien de commun entre les deux termes, sinon leur prononciation. La kabbale hébraïque ne s'occupe que de la Bible ; elle est donc strictement limitée à l'exégèse et à l'herméneutique sacrées. La cabale hermétique s'applique aux livres, textes et documents des sciences ésotériques de l'antiquité, du moyen âge et des temps modernes. Tandis que la kabbale hébraïque n'est qu'un procédé basé sur la décomposition et l'explication de chaque mot ou de chaque lettre, la cabale hermétique, au contraire, est une véritable langue. Et, comme la grande majorité des traités didactiques de sciences anciennes sont rédigés en cabale, ou qu'ils utilisent cette langue dans leurs passages essentiels ; que le grand Art lui-même, selon le propre aveu d'Artephius, est entièrement cabalistique, le lecteur n'en peut rien saisir s'il ne possède au moins les premiers éléments de l'idiome secret. Dans la kabbale hébraïque, trois sens peuvent être découverts en chaque mot sacré ; d'où trois interprétations ou kabbales différentes. La première, dite Gématria, comporte l'analyse de la valeur numérale ou arithmétique des lettres composant le mot ; la seconde, nommée Notarikon, établit la signification de chaque lettre considérée séparément ; la troisième, ou Thémurah (c'est-à-dire changement, permutation), emploie certaines transpositions de lettres. Ce dernier système, qui paraît avoir été le plus ancien, date de l'époque où florissait l'école d'Alexandrie, et fut crée par quelques philosophes juifs soucieux d'accommoder les spéculations des philosophies grecque et orientale avec le texte des livres saints. Nous ne serions pas autrement surpris que la paternité de cette méthode pût revenir au juif Philon, dont la réputation fut grande au commencement de notre ère, parce que c'est lui le premier philosophe cité comme ayant tenté d'identifier une religion véritable avec la philosophie. On sait qu'il essaya de concilier les écrits de Platon et les textes hébreux, en interprétant ceux-ci allégoriquement, ce qui concorde parfaitement avec le but poursuivi par la kabbale hébraïque. Quoi qu'il en soit, d'après les travaux d'auteurs fort sérieux, on ne saurait assigner au système juif une date très antérieure à l'ère chrétienne, en reculant même le point de départ de cette interprétation jusqu'à la version grecque des Septante (238 av. J.C.). Or, la cabale hermétique était employée, longtemps avant cette époque, par les pythagoriciens et les disciples de Thalès de Milet (640-560), fondateur de l'école ionienne : Anaximandre, Phérécyde de Syros, Anaximène de Milet, Héraclite d'Ephèse, Anaxagore de Clazomène, etc., en un mot, par tous les philosophes et les savants grecs, ainsi qu'en témoigne le papyrus de Leyde.

Ce que l'on ignore généralement aussi, c'est que la cabale contient et conserve l'essentiel de la langue maternelle des Pélasges, langue déformée, mais non détruite, dans le grec primitif ; langue mère des idiomes occidentaux, et particulièrement du français, dont l'origine pélasgique s'avère de manière incontestable ; langue admirable, qu'il suffit de connaître quelque peu pour aisément retrouver, dans les divers dialectes européens, le sens réel dévié, par le temps et les migrations des peuples, du langage originel.

A l'inverse de la kabbale juive, crée de toute pièce afin de voiler, sans aucun doute, ce que le texte sacré avait de trop clair, la cabale hermétique est une précieuse clef, permettant à qui la possède d'ouvrir les portes des sanctuaires, de ces livres fermés que sont les ouvrages de science traditionnelle, d'en extraire l'esprit, d'en saisir la signification secrète. Connue de Jésus et de ses Apôtres (elle devait malencontreusement provoquer le premier reniement de saint Pierre), la cabale était employée au moyen âge par les philosophes, les savants, les littérateurs, les diplomates. Chevaliers d'ordre et chevaliers errants, troubadours, trouvères et ménestrels, étudiants-touristes de la fameuse école de magie de Salamanque, que nous appelons Vénusbergs parce qu'ils disaient venir de la montagne de Vénus, discutaient entre eux dans la langue des dieux, dite encore gaye-science ou gay-scavoir, notre cabale hermétique6. Elle porte, d'ailleurs, le nom et l'esprit de la Chevalerie, dont les ouvrages mystiques de Dante nous ont révélé le véritable caractère. Le latin caballus et le grec (((((((( signifient tous deux cheval de somme ; or, notre cabale soutient réellement le poids considérable, la somme des connaissances antiques et de la chavalerie ou cabalerie médiévale, lourd bagage de vérités ésotériques transmis par elle à travers les âges. C'était la langue secrète des cabaliers, cavaliers ou chevaliers. Initiés et intellectuels de l'antiquité en avaient tous la connaissance. Les uns et les autres, afin d'accéder à la plénitude du savoir, enfourchaient métaphoriquement la cavale, véhicule spirituel dont l'image type est le Pégase ailé des poètes helléniques. Lui seul facilitait aux élus l'accès des régions inconnues ; il leur offrait la possibilité de tout voir et de tout comprendre, à travers l'espace et le temps, l'éther et la lumière... Pégase, en grec (((((((, tire son nom du mot ((((, source, parce qu'il fit, dit-on, jaillir d'un coup de pied la fontaine Hippocrène ; mais la vérité est d'un autre ordre. C'est parce que la cabale fournit la cause, donne le principe, révèle la source des sciences, que son hiéroglyphe animal a reçu le nom spécial et caractéristique qu'il porte. Connaître la cabale, c'est parler la langue de Pégase, la langue du cheval, dont Swift indique expressément, dans l'un de ses Voyages allégoriques, la valeur effective et la puissance ésotérique.

Langue mystérieuse des philosophes et disciples d'Hermès, la cabale domine toute la didactique de l'Ars magna, comme le symbolisme en embrasse toute l'iconographie. Art et littérature offrent ainsi à la science cachée l'appoint de leurs propres ressources et de leurs facultés d'expression. En fait, et malgré leur caractère particulier, leur technique distincte, la cabale et le symbolisme empruntent des voies différentes pour arriver au même but et pour se confondre dans le même enseignement. Ce sont les deux colonnes maîtresses, dressées sur les pierres d'angle des fondations philosophiques, qui supportent le fronton alchimique du temple de la sagesse.

Tous les idiomes peuvent donner asile au sens traditionnel des mots cabalistiques, parce que la cabale, dépourvue de texture et de syntaxe, s'adapte facilement à n'importe quel langage, sans en altérer le génie spécial. Elle apporte aux dialectes constitués la substance de sa pensée, avec la signification originelle des noms et des qualités. De sorte qu'une langue quelconque reste toujours susceptible de la véhiculer, de l'incorporer et, conséquemment, de devenir cabalistique par la double acceptation qu'elle prend de ce chef.

En dehors de son rôle alchimique pur, la cabale a servi de truchement dans l'élaboration de plusieurs chefs-d'œuvre littéraires, que beaucoup de dilettantes savent apprécier, sans toutefois soupçonner quels trésors ils dissimulent sous l'agrément, le charme ou la noblesse du style. C'est que les auteurs, - qu'ils aient nom Homère, Virgile, Ovide, Platon, Dante ou Gœthe, - furent tous de grands initiés. Ils écrivirent leurs immortels ouvrages non pas tant pour laisser à la postérité d'impérissables monuments du génie humain que pour l'instruire des sublimes connaissances dont ils étaient les dépositaires et qu'ils se devaient de transmettre dans leur intégrité. C'est ainsi que nous devons juger, en dehors des maîtres déjà cités, les artisans merveilleux des poèmes de chevalerie, chansons de geste, etc., appartenant au cycle de la Table ronde et du Graal ; les œuvres de François Rabelais et celles de Cyrano Bergerac ; le Don Quichotte de Michel Cervantes ; les Voyages de Gulliver, de Swift ; le Songe de Poliphile, de Francisco Colonna ; les Contes de ma mère l'Oie, de Perrault ; les Chansons du Roy de Navarre, de Thibault de Champagne ; le Diable prédicateur, curieux ouvrage espagnol dont nous ne connaissons point l'auteur, et quantité d'autres œuvres qui, pour être moins célèbres, ne leur sont inférieures ni en intérêt ni en science.

Nous bornerons là cet exposé de la cabale solaire, n'ayant pas reçu licence d'en faire un traité complet ni d'enseigner quelles en sont les règles. Il nous suffit d'avoir signalé la place importante occupée par elle dans l'étude des " secrets de nature " et la nécessité pour le débutant d'en retrouver la clef. Mais, afin de lui être utile dans la mesure du possible, nous donnerons, à titre d'exemple, la version en langage clair d'un texte cabalistique original de Naxagoras7. Souhaitons que le fils de science y découvre la manière d'interpréter les livres scellés, et sache tirer parti d'un enseignement aussi peu voilé. Dans son allégorie, l'Adepte s'est efforcé de décrire la voie ancienne et simple, la seule que suivaient , autrefois, les vieux maîtres alchimistes.

 

Traduction francaise du XVIIIe siècle , du texte original allemand du Naxagoras

Description bien détaillée du Sable d'Or qu'on trouve auprès de Zwickau, en Misnie aux environs de Niederhihendorff, et d'autres lieux voisins,

par J.N.V.E.J.E. ac. 5 Pct. ALC.

1715.

 

Il y avoit déja longtemps que cet extrait avoit été bien examiné par M.N.N., parce que le dernier comptoit faire beaucoup par la baguette divinatoire. Enfin, il parvint à toucher des mains ce qu'il cherchoit. Voicy l'extrait de ce manuscrit.

 

I. Un bourg, nommé Hartsmanngrünn, près de Zwickau. Sous le bourg, il y a beaucoup de bons grains. La mine y est en veines.

Il y aura bientôt deux ans qu'un homme de ces mines eut, d'une tierce personne, un petit extrait d'un manuscrit in-quarto, épais d'un pouce, et qui venoit d'ailleurs de deux autres voyageurs italiens qui s'y nommoient ainsy.

II. Kohl-Stein, proche de Zwickau. Il y a une bonne veine de graviers et de marcassites de plomb. Derrière, à Gabel, il y a un forgeron appelé Morgen-Stern, qui sçait où il y a une bonne mine, et un conduit sou-terrain, où il y a des crevasses que l'on y a faites. Il y a dedans des congellations jaunes et le métal est malléable.

 

Version française, en langage clair, du texte cabalistique de Naxagoras.

Description bien détaillée de la manière d'extraire, de libérer l'Esprit de l'Or, enclos dans la matière minérale vile, à dessein d'en édifier le Temple sacré de la Lumière et de découvrir d'autres secretes analogues,

par J.N.V.E.J.E. comprenant cinq points d'Alchimie.

1715.

Il y aura bientôt deux ans qu'un ouvrier, habile dans l'art métallique, obtint, par un troisième agent, un extrait des quatre éléments, manuellement obtenu en assemblant deux mercures de même origine, que leur excellence a fait qualifier de romains, et qui se sont toujours nommés ainsi.

Par cet extrait, connu de l'antiquité et bien étudié des Modernes, on peut réaliser de grandes choses, pourvu que l'on ait reçu l'illumination de l'Esprit-Saint. C'est alors qu'on parvient à toucher des mains ce que l'on cherche. Voici la technique manuelle de cet extrait.

I. Une scorie surnage l'assemblage formé par le feu, des parties pures de la Matière minérale vile. Sous la scorie, on trouve une eau friable granuleuse. C'est la veine ou la matrice métallique.

II. Telle est la Pierre Kohl 10, concrétion des parties pures du fumier ou Matière minérale vile. Veine friable et granuleuse, elle naît du fer, de l'étain et du plomb. Elle seule porte l'empreinte du Rayon solaire. C'est elle l'artisan expert dans l'art de travailler l'acier. Les sages l'appellent Etoile du Matin. Elle sait ce que cherche l'artiste. C'est le chemin souterrain qui mène à l'or jaune, malléable et pur. Chemin rude et coupé de crevasses, d'obstacles.

 

III. En allant de Schneeberg au château nommé Wissembourg, il y a un peu d'eau qui en coule, vers la montagne ; elle tombe dans le Mulde, vis-à-vis de cette eau, on trouve un vivier près de la rivière, et au delà de ce vivier, il y a un peu d'eau où l'on trouve une marcassite qui peut bien dédommager de la peine qu'on aura prise d'y aller.

IV. A Kauner-Zehl, sur la montagne de Gott, à deux lieues de Schoneck, il y a un excellent sable de cuivre.

V. A Grals, dans Voigtland, au-deesous de Schloss-berg, il y a un jardin où se trouve une riche mine d'or, ainsy que j'en ay averti depuis peu.

Remarqués bien.

VI. Entre Werda et Laugenberndorff, il y a un vivier que l'on appelle Mansteich. Au-dessous de ce vivier se voit une ancienne fontaine, au bas de la prairie. Dans cette fontaine, l'on trouve des grains d'or qui sont très bons.

VII. Dans le bois de Werda, il y a un fossé, qu'on appelle le Langgrab. En allant au haut de ce fossé, l'on trouve, dans le fossé même, une fosse. Avancés dans cette fosse la longueur d'une aulne vers la montagne, vous trouverés une veine d'or de la longueur d'un empan.

VIII. A Hundes-Hubel se trouve une fosse où il y a des grains d'or en masse. Cette fosse est dans le bourg, près d'une fontaine où le peuple va chercher de l'eau pour boire.

III. Ayant cette pierre, dite Montagne de la Tenaille 11, montez vers la Forteresse blanche. C'est l'eau vive, qui tombe du corps désagrégé, en poudre impalpable, sous l'effet d'une trituration naturelle comparable à celle de la Meule. Cette eau vive et blanche s'agglomère au centre, en une pierre cristalline, de couleur semblable au fer étamé, et qui peut grandement dédommager de la peine qu'exige l'opération.

IV. Ce sel lumineux et cristallin, premier être du Corps divin, se formera, dans un second lieu, en verre cuivré. C'est notre cuivre ou laiton, et le lion vert.

V. Ce sable, calciné, donnera sa teinture au rameau d'or. La jeune pousse du soleil naîtra dans la Terre de feu. C'est la substance brûlée de la pierre, roche fermée du jardin 12 où mûrissent nos fruits d'or, ainsi que je m'en suis assuré depuis peu. Remarquez bien ceci.

VI. Entre ce produit et le second, plus fort et meilleur, il est utile de retourner à l'Etang de la Lumière morte 13, par l'extrait remis dans sa matière originelle. Vous retrouverez l'eau vive, dilatée, sans consistance. Ca qui en proviendra est l'antique Fontaine 14, génératrice de vigueur, capable de changer en grains d'or les métaux vils.

VII. Dans la Forêt verte se cache le fort, le robuste et le meilleur de tous 15. Là aussi se trouve l'Etang de l'Ecrevisse 16. Poursuivez : la substance se séparera d'elle-même. Laissez le fossé : sa source est au fond d'une grotte où se développe la pierre incluse dans sa minière.

VIII. Dans l'augmentation, en réitérant, vous verrez la source remplie de granulations brillantes et d 'or pur. Elle est en scorie ou guangue enfermant la Fontaine d'eau sèche, génératrice d'or, que le peuple métallique boit avidement.

IX. Après avoir fait différents voyages à Zwickau, à la petite ville de Schlott, à Saume, à Crouzoll, nous nous arrêtâmes à Brethmullen, où ce lieu étoit autrefois situé. Au chemin qui conduisoit autrefois à Weinburg, qu'on appelle Barenstein, vis-à-vis ou vers la montagne, en allant à Barenstein, par derrière, vis-à-vis le couchant, à la fibula,... qui y étoit autrefois, il y a un vieux puits dans lequel il y a une veine qui le traverse. Elle est forte et bien riche en bon or de Hongrie et quelquefois même en or d'Arabie. La marque de la veine est sur quatre de sépareurs de métaux Auff-seigers vier, et il est écrit auprès Auff-seigers eins. C'est une vray teste de veine.

IX. Après différents essais sur la matière vile, jusqu'à la couleur jaune, ou fixation du corps, puis de là au Soleil couronné, il nous faut fallut attendre que la matière se fût entièrement cuite dans l'eau, selon la méthode de jadis. Cette longue coction, suivie autrefois, conduisait au Château lumineux ou Forteresse brillante, qui est cette pierre lourde, occident qu'atteint, sans le dépasser, notre manière propre, car la vérité sort du puits antique de cette teinture puissante, riche en semence d'or, aussi pur que l'or de Hongrie et quelque fois même que l'or d'Arabie. Le signe, formé de quatre rayons, désigne et scelle le réducteur minéral. C'est la plus grande de toutes les teintures.

 

***

 

Mais afin de clore, sur une note moins austère, cette étude du langage secret désigné sous le nom de cabale hermétique ou solaire, nous montrerons jusqu'où peut aller la crédulité historique, lorsqu'une ignorance aveugle permet d'attribuer à certains personnages ce qui n'a jamais appartenu qu'à l'allégorie et à la légende. Les faits historiques que nous offrons à la méditation du lecteur sont ceux d'un monarque de l'antiquité romaine. Nous n'aurons guère besoin d'en révéler les particularités saugrenues, ni d'en souligner toutes les relations cabalistiques, tant celles-ci s'avèrent évidentes et expressives.

Le fameux empereur romain Varius Avitus Bassianus, salué par les soldats, - on ne sait trop pourquoi, - sous les noms de Marcus Aurelius Antoninus18, fut surnommé, - on ne le sait pas davantage, - Elagabale ou Héliogabale. " Né en 204, nous dit l'Encyclopédie, mort à Rome en 222, il descendait d'une famille syrienne20, vouée au culte du Soleil, à Emèse 21. Lui-même fut, tout jeune, grand-prêtre de ce dieu, qui était adoré sous la forme d'une pierre noire22 et sous le nom d'Elagabale. On le prétendait fils de Caracalla. Sa mère, Sœmias 23fréquentait la cour et était au-dessous de la calomnie. Quoiqu'il en soit, la beauté du jeune grand-prêtre séduisit la légion d'Emèse, qui le proclama Auguste à l'âge de quatorze ans. L'empereur Macrin marcha contre lui, mais fut battu et tué.

"Le règne d'Héliogabale ne fut que le triomphe des superstitions et des débauches orientales. Il n'est infamie ou cruauté que n'aient inventées ce singulier empereur aux joues fardées, à la robe traînante. Il avait amené à Rome sa pierre noire, et forçait le Sénat et tout le peuple à lui rendre un culte public. Ayant enlevé à Carthage la statue de Cœlestis, qui représentait la Lune, il en célébra en grande pompe les noces avec sa pierre noire, qui figurait le Soleil. Il créa un sénat de femmes, épousa successivement quatre femmes, dont une vestale, et rassembla un jour toutes les prostituées de Rome, auxquelles il adressa un discours sur les devoirs de leur état. Les prétoriens massacrèrent Héliogabale et jetèrent son corps au Tibre. Il avait dix-huit ans et en avait régné quatre. "

Si ce n'est là de l'Histoire, c'est du moins une belle histoire, toute pleine de "pantagruélisme". Sans faillir à sa mission ésotérique, elle eût certainement, sous la plume alerte, le style chaud et coloré de Rabelais, énormément gagné en saveur, en pittoresque et en turbulence.

 

VI

 

Avant d'être élevée à la dignité de Vertu cardinale, la Prudence fut longtemps une divinité allégorique à laquelle les Anciens donnaient une tête à deux visages, - formule que notre statue reproduit exactement et de la façon la plus heureuse. Sa face antérieure offre la physionomie d'une jeune femme au galbe très pur, et sa face postérieure celle d'un vieillard dont le faciès, plein de noblesse et de gravité, se prolonge dans les ondes soyeuses d'une barbe de fleuve. Réplique de Janus, fils d'Apollon, et de la nymphe Créuse, cette admirable figure ne le cède aux trois autres ni en majesté, ni en intérêt.

Debout, elle est représentée les épaules couvertes de l'ample manteau du philosophe, qui s'ouvre largement sur le corsage au chevron gaufré. Un simple fichu lui protège la nuque ; formé en coiffe autour du visage sénile, il vient se nouer sur le devant, dégageant ainsi le cou agrémenté d'un collier de perles. La jupe, aux plis larges, est maintenue par une cordelière à gland, d'aspect lourd, mais de caractère monacal. Sa main gauche embrasse le pied d'un miroir convexe, dans lequel elle semble éprouver quelque plaisir à voir son image, tandis que la main droite tient écartées les les branches d'un compas à pointes sèches. Un serpent, dont le corps apparaît ramassé sur lui-même, expire à ses pieds (pl. XL).

Cette noble figure est pour nous une émouvante et suggestive personnification de la Nature, simple, féconde, multiple et variée sous les dehors harmonieux, l'élégance et la perfection des formes dont elle pare jusqu'à ses plus humbles productions. Son miroir, qui est celui de la Vérité, fut toujours considéré par les auteurs classiques comme l'hiéroglyphe de la matière universelle, et particulièrement reconnu entre eux pour le signe de la substance propre du Grand Œuvre. Sujet des sages, Miroir de l'Art sont des synonymes hermétiques qui dérobent au vulgaire le nom véritable du minéral secret. C'est dans ce miroir, disent les maîtres, que l'homme voit la nature à découvert. C'est grâce à lui qu'il peut connaître l'antique vérité en son réalisme traditionnel. Car la nature ne se montre jamais d'elle-même au chercheur, mais seulement par l'intermédiaire de ce miroir qui en garde l'image réfléchie. Et pour montrer expressément que c'est bien là notre microcosme et le petit monde de sapience, le sculpteur a façonné le miroir en lentille plan convexe, laquelle possède la propriété de réduire les formes en conservant les proportions respectives. L'indication du sujet hermétique, contenant en son minuscule volume tout ce que renferme l'immense univers, apparaît donc voulue, préméditée, imposée par une nécessité ésotérique impérieuse, et dont l'interprétation n'est pas douteuse. De sorte qu'en étudiant avec patience cette unique et primitive substance, parcelle chaotique et reflet du grand monde, l'artiste peut acquérir les notions élémentaires d'une science inconnue, pénétrer dans un domaine inexploré, fertile en découvertes, abondant en révélations, prodigue de merveilles, et recevoir enfin l'inestimable don que Dieu réserve aux âmes d'élite : la lumière de sagesse.

Ainsi apparaît, sous le voile extérieur de la Prudence, l'image mystérieuse de la vieille alchimie, et sommes-nous, par les attributs de la première, initiés aux secrets de la seconde. D'ailleurs, le symbolisme pratique de notre science tient dans l'exposé d'une formule comportant deux termes, deux vertus essentiellement philosophiques : la prudence et la simplicité. Prudentia et Simplicitas, telle est la devise favorite des maîtres Basile Valentin et Senior Zadith. L'un des bois du traité de l'Azoth représente, en effet, aux pieds d'Atlas, supportant la sphère cosmique, un buste de Janus, - Prudentia, - et un jeune enfant épelant l'alphabet, - Simplicitas. Mais, tandis que la simplicité appartient surtout à la nature, comme le premier et le plus important de ses apanages, l'homme, au contraire, semble doué de qualités groupées sous la dénomination globale de prudence : prévoyance, circonspection, intelligence, sagacité, expérience, etc. Et quoique toutes réclament, pour atteindre leur perfection, le secours et l'appui du temps, les unes étant innées, les autres acquises, il serait possible de fournir dans ce sens une raison vraisemblable du double masque de la Prudence.

La vérité, moins abstraite, semble liée davantage au positivisme alchimique des attributs de notre Vertu cardinale. Il est généralement recommandé d'unir " un vieillard sain et vigoureux avec une jeune et belle vierge ". Dans ces noces chimiques, un enfant métallique doit naître et recevoir l'épithète d'androgyne, parce qu'il tient à la fois de la nature du soufre, son père, et celle du mercure, sa mère. Mais en ce lieu gît un secret que nous n'avons point découvert chez les meilleurs et les plus sincères auteurs. L'opération, ainsi présentée, paraît simple et fort naturelle. Nous nous sommes portant trouvé arrêté pendant plusieurs années par l'impossibilité d'en rien obtenir. C'est que les philosophes ont habilement soudé deux ouvrages successifs en un seul, avec d'autant plus d'aisance qu'il s'agit d'opérations semblables, conduisant à des résultats parallèles. Quand les sages parlent de leur androgyne, ils entendent désigner sous ce vocable le composé artificiellement formé de soufre et de mercure, mis en étroit contact, ou, suivant l'expression chimique consacrée, simplement combinés. Cela indique donc la possession préalable d'un soufre et d'un mercure précédemment isolés ou extraits, et non d'un corps généré directement par la nature, à l'issue de la conjonction du vieillard et de la jeune vierge. En alchimie pratique, ce que l'on sait le moins, c'est le commencement. Aussi, est-ce la raison pour laquelle nous saisissons toutes les occasions qui nous sont offertes de parler du début, préférablement à la fin de l'Œuvre. Nous suivons en cela le conseil autorisé de Basile Valentin, lorsqu'il dit que " celui qui a la matière trouvera toujours un pot pour la cuire, et qui a de la farine ne doit guère se soucier de pouvoir faire du pain ". Or, la logique élémentaire nous conduit à rechercher les géniteurs du soufre et du mercure, si nous désirons obtenir, par leur union, l'androgyne philosophique, autrement appelé Rebis, Compositum de compositis, Mercure animé, etc., propre matière de l'Elixir. De ces parents chimiques du soufre et du mercure principes, l'un reste toujours le même, et c'est la vierge mère ; quant au vieillard, il doit, son rôle achevé, céder la place à plus jeune que lui. Ainsi, ces deux conjonctions engendreront chacune un rejeton de sexe différent : le soufre, de complexion sèche et ignée, et le mercure, de tempérament " lymphatique et mélancolique ". C'est ce que veulent enseigner Philalèthe et d'Espagnet en disant que " notre vierge peut être mariée deux fois, sans rien perdre de sa virginité ". D'autres s'expriment de manière plus obscure et se contentent d'assurer que " le soleil et la lune du ciel ne sont pas les astres des philosophes ". On doit comprendre par là que l'artiste ne trouvera jamais les parents de la pierre, directement préparés dans la nature, et qu'il devra former d'abord le soleil et la lune hermétiques, s'il ne veut être frustré du fruit précieux de leur alliance. Nous croyons en avoir assez dit sur ce sujet. Peu de paroles suffisent au sage, et ceux qui ont longtemps travaillé sauront profiter de nos avis. Nous écrivons pour tous, mais tous peuvent ne pas être appelés à nous entendre, parce qu'il nous est refusé de parler plus ouvertement.

Replié sur lui-même, la tête renversée dans les spasmes de l'agonie, le serpent, que nous voyons figurer au pied de notre statue, passe pour être l'un des attributs de la Prudence ; il est, dit-on, de naturel fort circonspect. Nous ne le contestons pas ; mais on conviendra que ce reptile, représenté mourant, doit l'être pour la nécessité du symbolisme, car son inertie ne lui permet point d'exercer une telle faculté. Il est donc raisonnable de penser que l'emblème comporte un autre sens, très distinct de celui qu'on lui affecte. En hermétisme, sa signification est analogue à celle du dragon, que les sages ont adopté comme l'un des représentants du mercure. Rappelons le serpent crucifié de Flamel, celui de Notre-Dame de Paris, ceux du caducée, des crucifix de méditation (qui sortent d'un crâne humain servant de base à la croix divine), le serpent d'Esculape, l'Ouroboros grec, - serpens qui caudam devoravit, - chargé de traduire le circuit fermé du petit univers qu'est l'Œuvre, etc. Or, tous ces reptiles sont morts ou moribonds, depuis l'Ouroboros qui se dévore lui-même, jusqu'à ceux du caducée, tués d'un coup de baguette, en passant par le tentateur d'Eve, auquel la postérité de la femme écrasera la tête (Genèse, III, 15). Tous expriment la même idée, renferment la même doctrine, obéissent à la même tradition. Et le serpent, hiéroglyphe du principe alchimique primordial, peut justifier l'assertion des sages, lesquels assurent que tout ce qu'ils cherchent se trouve contenu dans le mercure. C'est lui, véritablement, le moteur, l'animateur du grand ouvrage, car il le commence, l'entretient, le perfectionne et l'achève. C'est lui le cercle mystique dont le soufre, embryon du mercure, marque le point central autour duquel il accomplit sa rotation, traçant ainsi le signe graphique du soleil, père de la lumière, de l'esprit et de l'or, dispensateur de tous les biens terrestres.

Mais tandis que le dragon figure le mercure écailleux et volatil, produit de la purification superficielle du sujet, le serpent, dépourvu d'ailes, demeure l'hiéroglyphe du mercure commun, pur et mondé, extrait du corps de la Magnésie ou matière première. C'est la raison pour laquelle certaines statues allégoriques de la Prudence ont pour attribut le serpent fixé sur un miroir. Et ce miroir, signature du minéral brut fourni par la nature, devient lumineux en réfléchissant la lumière, c'est-à-dire en manifestant sa vitalité dans le serpent, ou mercure, qu'il tenait caché sous son enveloppe grossière. Ainsi, grâce à ce primitif agent vivant et vivifiant, il devient possible de rendre la vie au soufre des métaux morts. En exécutant l'opération, le mercure, dissolvant le métal, s'empare du soufre, l'anime et meurt en lui cédant sa vitalité propre. C'est ce que les maîtres veulent enseigner lorsqu'ils ordonnent de tuer le vif pour ressusciter le mort, de corporifier les esprits et de réanimer les corporifications. Possédant ce soufre vivant et actif, qualifié de philosophique, afin de marquer sa régénération, il suffira de l'unir, en proportion convenable, au même mercure vivant, pour obtenir, par l'interpénétration de ces principes vivants, le mercure philosophique ou animé, matière de la pierre philosophale. Si l'on a bien compris ce que nous nous sommes efforcés de traduire plus haut, et que l'on rapproche ce qui est dit ici, les deux premières portes de l'Œuvre seront facilement ouvertes.

En résumé, celui qui possède une connaissance assez étendue de la pratique remarquera que le secret principal de l'ouvrage réside dans l'artifice de la dissolution. Et comme il est nécessaire d'exécuter plusieurs de ces opérations, - différentes quant à leur but, semblables quant à leur technique, - il existe autant de secrets secondaires, lesquels, à proprement parler, n'en forment réellement qu'un seul. Tout l'art se réduit donc à la dissolution, tout dépend d'elle et de la manière de l'effectuer. C'est là le secretum secretorum, la clef du Magistère cachée sous l'axiome énigmatique solve et coagula : dissous (le corps) et coagule (l'esprit). Et cela se fait en une seule opération comprenant deux dissolutions, l'une violente, dangereuse, inconnue, l'autre aisée, commode, d'un usage courant au laboratoire.

Ayant décrit ailleurs la première de ces dissolutions et donné, en style allégorique peu voilé, les détails indispensables, nous n'y reviendrons pas24. Mais, afin d'en préciser le caractère, nous attirerons l'attention du laborieux sur ce qui la distingue des opérations chimiques comprises sous le même vocable. Cette indication pourra ne pas être inutile.

Nous avons dit, et le répétons, que l'objet de la dissolution philosophique est l'obtention du soufre qui, dans le Magistère, joue le rôle de formateur en coagulant le mercure qui lui est adjoint, propriété qu'il tient de sa nature ardente, ignée et desséchante. " Toute chose sèche boit avidement son humide ", dit un vieil axiome alchimique. Mais ce soufre, lors de sa première extraction, n'est jamais dépouillé du mercure métallique avec lequel il constitue le noyau central du métal, appelé essence ou semence. D'où il résulte que le soufre, conservant les qualités spécifiques du corps dissous, n'est en réalité que la portion la plus pure et la plus subtile de ce corps même. En conséquence, nous sommes en droit de considérer, avec la pluralité des maîtres, que la dissolution philosophique réalise la purification absolue des métaux imparfaits. Or, il n'est pas d 'exemple, spagyrique ou chimique, d'une opération susceptible de donner un tel résultat. Toutes les purifications de métaux traités par les méthodes modernes ne servent qu'à les débarrasser des impuretés superficielles les moins tenaces. Et celles-ci, apportées de la mine ou entraînées à la réduction du minerai, sont généralement peu importantes. Au contraire, le procédé alchimique, dissociant et détruisant la masse de matières hétérogènes fixées sur le noyau, constitué de soufre et de mercure très purs, ruine la majeure partie du corps et la rend réfractaire à toute réduction ultérieure. C'est ainsi, par exemple, qu'un kilogramme d'excellent fer de Suède, ou de fer électrolytique, fournit une proportion de métal radical, d'homogénéité et de pureté parfaites, variant entre 7 grammes 24 et 7 grammes 32. Ce corps, très brillant, est doué d'une magnifique coloration violette, - qui est la couleur du fer pur, - analogue, pour l'éclat et l'intensité, à celle des vapeurs d'iode. On remarquera que le soufre du fer, isolé, étant rouge incarnat, et son mercure coloré en bleu clair, le violet provenant de leur combinaison révèle le métal dans son intégralité. Soumis à la dissolution philosophique, l'argent abandonne peu d'impuretés, par rapport à son volume, et donne un corps de couleur jaune presque aussi belle que celle de l'or, dont il n'a pas la forte densité. Déjà, et nous l'avons enseigné au début de ce livre, la simple dissolution chimique de l'argent dans l'acide azotique détache du métal une minime fraction d'argent pur, de couleur d'or, laquelle suffit à prouver la possibilité d'une action plus énergique et la certitude du résultat qu'on en peut attendre.

Nul ne saurait contester l'importance et la prépondérance de la dissolution, tant en chimie qu'en alchimie. Elle se place au premier rang des opérations de laboratoire, et l'on peut dire que la plupart des travaux chimiques sont sous sa dépendance. En alchimie, l'Œuvre entier ne comporte qu'une suite de diverses solutions. On ne peut donc s'étonner de la réponse que fait " l'Esprit de Mercure " à " Frère Albert " dans le dialogue que Basile Valentin nous donne au livre des Douze Clefs. " Comment pourrai-je avoir ce corps ? demande Albert ; et l'Esprit de répliquer : Par la dissolution " Quelle que soit la voie employée, humide ou sèche, elle est absolument indispensable. Qu'est-ce que la fusion, sinon une solution du métal dans son eau propre ? De même, l'inquartation, ainsi que l'obtention des alliages métalliques, sont de véritables solutions chimiques de métaux les uns par les autres. Le mercure, liquide à la température ordinaire, n'est autre qu'un métal fondu ou dissous. Toutes les distillations, extractions, purifications réclament une solution préalable et ne s'effectuent qu'après achèvement de celle-ci. Et la réduction ? N'est-elle point aussi le résultat de deux solutions successives, celle du corps et celle du réducteur ? Si, dans une solution première de trichlorure d'or, on plonge une lame de zinc, une seconde solution, celle du zinc, s'engage aussitôt, et l'or, réduit, se précipite à l'état de poudre amorphe. La coupellation démontre également la nécessité d'une solution première, - celle du métal précieux allié ou impur, par le plomb, tandis que l'impur, par le plomb, tandis qu'une seconde, la fusion des oxydes superficiels formés, élimine ceux-ci et parfait l'opération. Quant aux manipulations spéciales, nettement alchimiques, - imbibitions, digestions, maturations, circulations, putréfactions, etc., - elles dépendent d'une solution antérieure et représentent autant d'effets différents d'une seule et même cause.

Mais ce qui distingue la solution philosophique de toutes les autres, et lui assure pour le moins une réelle originalité, c'est que le dissolvant ne s'assimile pas au métal basique qui lui est offert ; il en écarte seulement les molécules, par rupture de cohésion, s'empare des parcelles de soufre pur qu'elles peuvent retenir et laissent le résidu, formé de la majeure partie du corps, inerte, désagrégé, stérile et complètement irréductible. On ne saurait donc obtenir avec lui un sel métallique, ainsi qu'on le fait à l'aide des acides chimiques. Au reste, connu depuis l'antiquité, le dissolvant philosophique n'a jamais été utilisé qu'en alchimie, par des manipulateurs experts dans la pratique du tour de main spécial qu'exige son emploi. C'est lui que les sages envisagent lorsqu'ils disent que l'Œuvre se fait d'une chose unique. Contrairement aux chimistes et spagyristes, lesquels disposent d'une collection d'acides variés, les alchimistes ne possèdent qu'un seul agent, qui a reçu quantité de noms divers, dont le dernier en date est celui d'Alkaest. Relever la composition des liqueurs, simples ou complexes, qualifiées alkaest, nous entraînerait trop loin, car les chimistes des XVIIe et XVIIIe siècles ont eu chacun leur formule particulière. Parmi les meilleurs artistes qui ont longuement étudié le mystérieux dissolvant de Jean-Baptiste Van Helmont et de Paracelse, nous nous bornerons à signaler : Thomson (Epilogismi chimici, Leyde, 1673) ; Welling (Opera cabalistica, Hambourg, 1735) ; Tackenius (Hippocrates chimicus, Venise, 1666) ; Digby (Secreta medica, Francfort, 1676) ; Starckey (Pyrotechnia, Rouen 1706) ; Vigani (Medulla chmioe, Dantzig, 1682) ; Christian Langius (Opera omnia, Francfort, 1688) ; Langelot (290) (Salamander, vid. Tillemann, Hambourg, 1673) ; Helbigius (Introitus ad Physican inauditam, Hambourg, 1680) ; Frédéric Hoffmann (De acido et viscido, Francfort, 1689) ; Baron Schrœder (Pharmacopœa, Lyon, 1649) ; Blanckard (Theatrum chimicum, Leipzig, 1700) ; Quercetanus (Hermes medicinalis, Paris, 1604) ; Beguin (Elemens de Chymie, Paris, 1615) ; J.-F. Henckel (Flora Saturnisans, Paris 1760).

Pott, élève de Stahl, signale aussi un dissolvant qui, à en juger par ses propriétés, laisserait croire à sa réalité alchimique, si nous n'étions mieux informé de sa nature véritable. La manière dont notre chimiste le décrit ; le soin qu'il apporte à tenir secrète sa composition ; la généralisation voulue de qualités qu'il s'attache d'ordinaire à préciser davantage, tendraient à le prouver. " Il nous reste à parler, dit-il, d'un dissolvant huileux et anonyme dont aucun chymiste que je sache n'a fait clairement mention. C'est une liqueur limpide, volatile, pure, huileuse, inflammable comme l'esprit de vin, acide comme du bon vinaigre, et qui passe dans la distillation en forme de flocons nébuleux. Cette liqueur, digérée et cohobée sur les métaux, surtout après qu'ils ont été calcinés, les dissout presque tous ; elle retire de l'or une teinture très rouge, et lorsqu'on l'enlève de dessus l'or, il reste une matière résineuse, entièrement soluble dans l'esprit de vin, qui acquiert par ce moyen, une belle couleur rouge. Le résidu en est totalement irréductible, et je suis assuré qu'on en pourroit préparer le sel de l'or. Ce dissolvant se mêle indifféremment avec les liqueurs aqueuses ou grasses ; elle convertit les coraux en une liqueur d'un vert de mer qui paroit être leur premier état. C'est une liqueur saturée de sel ammoniac et grasse en même temps, et pour en dire ce que j'en pense, c'est le véritable menstrue de Weidenfeld, ou l'esprit de vin philosophique, puisqu'on retire de la même matière les vins blanc et rouge de Raymond Lulle. C'est ce qui fait que Henri Khunrath donne, dans son Amphithéatre, à sa Lunaire le nom de son Feu-eau et de son Eau-feu, car il est certain que Juncken s'est lourdement trompé lorsqu'il tâche de persuader que c'est dans l'esprit de vin qu'il faut chercher le dissolvant anonyme dont nous parlons. Ce dissolvant fournit un esprit urineux d'une nature singulière, qui paroît en quelques points différer entièrement des esprits urineux ordinaires ; il fournit encore une espèce de beurre qui a la consistance et la blancheur du beurre d'antimoine ; il est extrêmement amer et d'une moyenne volatilité, ces deux produits sont très propres, l'un et l'autre, à extraire les métaux. La préparation de notre dissolvant, quoique obscure et cachée, est cependant très facile à faire ; on me dispensera d'en dire davantage sur cette matière parce que, comme il y a très peu de temps que je la connois et que j'y travaille, il me reste encore un grand nombre d'expériences à faire pour m'assurer de toutes ses propriétés. Au reste, sans parler du livre De Secretis Adeptorum de Weidenfeld, Dickenson paroît avoir découvert ce menstrue dans son traité de Chrysopœia. "

Sans contester la probité de Pott, ni mettre en doute la véracité de sa description, et moins encore celle que Weidenfeld donne sous des termes cabalistiques, il est indubitable que le dissolvant dont parle Pott n'est pas celui des sages. En effet, le caractère chimique de ses réactions et l'état liquide sous lequel il se présente, en témoignent surabondamment. Ceux qui sont instruits des qualités du sujet savent que le dissolvant universel est un véritable minéral, d'aspect sec et fibreux, de consistance solide, dure, de texture cristalline. C'est donc un sel, et non pas un liquide, ni un mercure coulant, mais une pierre ou sel pierreux, d'où ses qualificatifs hermétiques de Salpêtre (sal petri, sel de pierre), de sel de sagesse ou sel alembroth, - que certains chimistes croient être le produit de la sublimation simultanée du deuto-chlorure de mercure et du chlorure d'ammonium. Et cela suffit à écarter le dissolvant de Pott, comme étant trop éloigné de la nature métallique pour être avantageusement employé dans le travail du Magistère. D'ailleurs, si notre auteur avait eu présent à l'esprit le principe fondamental de l'art, il se serait gardé d'assimiler au dissolvant universel sa liqueur particulière. Ce principe veut, en effet, que : Dans les métaux, par les métaux, avec les métaux, les métaux peuvent être perfectionnés. Quiconque s'écarte de cette vérité première ne découvrira jamais rien d'utile pour la transmutation. En conséquence, si le métal, selon l'enseignement philosophique et la doctrine traditionnelle, doit tout d'abord être dissous, on ne le devra faire qu'à l'aide d'un solvant métallique, qui lui sera approprié et très voisin par la nature. Les semblables seuls agissent sur leurs semblables. Or, le meilleur agent, extrait de notre Magnésie ou sujet, prend l'aspect d'un corps métallique, chargé d'esprits métalliques, bien qu'à proprement parler il ne soit pas un métal. C'est ce qui a engagé les Adeptes, pour mieux le soustraire à l'avidité des cupides, à lui donner tous les noms possibles de métaux, de minéraux, de pétrifications et de sels. Parmi ces dénominations la plus familière est certainement celle de Saturne, considéré comme l'Adam métallique. Aussi, ne pouvons-nous mieux compléter notre instruction qu'en laissant la parole aux philosophes ayant traité spécialement de cette matière. Voici donc la traduction d'un chapitre fort suggestif de Daniel Mylius, consacré à l'étude de Saturne, et qui reproduit les enseignements de deux célèbres Adeptes : Isaac le Hollandais et Théophraste Paracelse :

"Aucun philosophe versé dans les écrits hermétiques n'ignore combien Saturne est élevé, à tel point qu'il doit être préféré à l'or commun et naturel et il est appelé l'Or vrai et la Matière Sujet des philosophes. Nous transcrirons sur ce point le témoignage approuvé des philosophes les plus remarquables.

" Isaac Hollandais dit dans son Œuvre végétable : Sache, mon fils, que la pierre des philosophes doit être faite au moyen de Saturne, et lorsqu'on l'a obtenue à l'état parfait, elle fait la projection tant dans le corps humain, - à l'extérieur comme à l'intérieur, - que dans les métaux. Sache aussi que dans tous les œuvres végétables, il n'y a pas de plus grand secret que dans Saturne, car nous ne trouvons la putréfaction de l'or qu'en Saturne où elle est cachée. Saturne contient dans son intérieur l'or probe, ce dont conviennent tous les philosophes, à condition qu'on lui retire toutes ses superfluités, c'est-à-dire les fèces, et alors il est purgé. L'extérieur est amené à l'intérieur, l'intérieur manifesté à l'extérieur, et c'est là sa rougeur, et c'est alors l'Or probe.

" Saturne, du reste, entre facilement en solution et se coagule de même ; il se prête de bonne grâce à laisser extraire son mercure. Il peut être sublimé aisément , à tel point qu'il devient le mercure du soleil. Car Saturne contient en son intérieur l'or dont Mercure a besoin, et son mercure est aussi pur que celui de l'or. C'est pour ces raisons que je dis que Saturne est, pour notre Œuvre, de beaucoup préférable à l'or ; car si tu veux extraire le mercure de l'or, il te faudra plus d'un an pour tirer ce corps du soleil, tandis que tu peux extraire le mercure de Saturne en vingt-sept jours. Les deux métaux sont bons, mais tu peux affirmer avec plus de certitude encore, que Saturne est la pierre que les philosophes ne veulent pas nommer et dont le nom a, jusqu'aujourd'hui, été caché. Car si l'on connaissait son nom, beaucoup auraient trouvé, qui courent après sa recherche, et cet Art serait devenu commun et vulgaire. Ce travail deviendrait bref et sans grande dépense. Aussi, pour éviter ces inconvénients, les philosophes en ont caché le nom avec un grand soin. Certains l'ont enveloppé dans des paraboles merveilleuses, disant que Saturne est le vase auquel il ne faut rien ajouter d'étranger, excepté ce qui vient de lui ; de telle manière qu'il n'y a pas d'homme, si pauvre soit-il, qui ne puisse vaquer à cet Œuvre, puisqu'il ne nécessite pas de grands frais, et qu'il faut peu de travail et peu de jours pour en obtenir la Lune et, peu après, le Soleil. Nous trouvons donc dans Saturne tout ce qui nous est nécessaire pour l'Œuvre. En lui est le mercure parfait ; en lui sont toutes les couleurs du monde qui peuvent se manifester ; en lui est la véritable noirceur, la blancheur, la rougeur, en lui aussi le poids.

" Je vous confie donc qu'on peut comprendre, après cela, que Saturne est notre pierre philosophique et le Laiton, d'où le mercure et notre pierre peuvent être extraits en peu de temps et sans grands débours, au moyen de notre Art bref. Et la pierre qu'on en reçoit est notre Laiton, et l'eau aiguë qui est en elle est notre pierre. Et c'est là Pierre et l'Eau sur laquelle les philosophes ont écrit des montagnes de livres.

" Théophraste Paracelse, dans le Canon cinquième de Saturne, dit :

" Saturne parle ainsi de sa nature : les six (métaux) se sont " joints à moi et infusèrent leur esprit dans mon corps caduc ; " ils y ajoutèrent ce qu'ils ne voulurent point et me " l'attribuèrent. Mais mes frères sont spirituels et " pénètrent mon corps, qui est feu, de telle sorte que je suis " consumé par le feu. De manière qu'eux (les métaux), " excepté les deux, Soleil et Lune, sont purgés par mon eau. " Mon esprit est l'eau qui ramollit tous les corps congelés et " endormis de mes frères. Mais mon corps conspire avec la " terre, tellement que ce qui s'attache à cette terre est rendu " semblable à elle et ramené dans son corps. Et je ne connais " rien dans le monde qui puisse produire cela comme je le " peux. Les chimistes doivent donc abandonner tout autre " procédé et s'attacher aux ressources que l'on peut tirer de " moi.

" La pierre, qui en moi est froide, est mon Eau, au moyen " de laquelle on peut coaguler l'esprit des sept métaux et " l'essence du septième, du Soleil ou de la Lune, et, avec la " grâce de Dieu, profite tant qu'au bout de trois semaines on " peut préparer le menstrue de Saturne qui dissoudra " immédiatement les perles. Si les esprits de Saturne sont " fondus en solution, ils se coagulent aussitôt en masse et " arrachent à l'or l'huile animée ; alors, par ce moyen, tous les " métaux et les gemmes peuvent être dissous en un instant, ce " que le philosophe réservera pour lui autant qu'il le jugera " convenable. Mais je veux demeurer aussi obscur sur ce point " que j'ai été clair jusqu'ici. "

Pour achever l'étude de la Prudence et des attributs symboliques de notre science, il nous reste à parler du compas que la belle statue de Michel Colombe tient de la main droite. Nous le ferons brièvement. Déjà, le miroir nous a renseigné sur le sujet de l'art ; la double figure, sur l'alliance nécessaire du sujet avec le métal choisi ; le serpent, sur la mort fatale et la glorieuse résurrection du corps issu de cette union. A son tour, le compas nous fournira les indications complémentaires indispensables, qui sont celles des proportions. Sans leur connaissance, il serait impossible de conduire et parfaire l'Œuvre de façon normale, régulière et précise. C'est ce qu'exprime le compas, dont les branches servent non seulement à la mesure proportionnelle des distances entre elles ainsi qu'à leur comparaison, mais encore au tracé géométrique parfait de la circonférence, image du cycle hermétique et de l'Œuvre accompli. Nous avons exposé, en un autre endroit de cet ouvrage, ce qu'il faut entendre par ces termes de proportions ou de poids, - secret voilé sous la forme du comas, - et avons montré qu'ils renfermaient une double notion, celle du poids de nature et celles des poids de l'art. Nous n'y reviendront pas et dirons simplement que l'harmonie résultant des proportions naturelles, et à jamais mystérieuses, se traduit par cet adage de Linthaut : La vertu du soufre ne s'étend que jusqu'à certaine proportion d'un terme. Au contraire, les rapports entre les poids de l'art, restant soumis à la volonté de l'artiste, s'expriment par l'aphorisme du Cosmopolite : Le poids du corps est singulier et celui de l'eau pluriel. Mais, comme les philosophes enseignent que le soufre est susceptible d'absorber jusqu'à dix et douze fois son poids de mercure, on voit naître aussitôt la nécessité d'opérations supplémentaires, dont les auteurs se préoccupent médiocrement : les imbibitions et le réitérations. Nous agirons dans le même sens et soumettrons ces détails de pratique à la propre sagacité du débutant, parce qu'ils sont d'exécution facile et de recherche secondaire.

 

 

 VII

 

Dans la cathédrale nantaise, le crépuscule, peu à peu, décroît.

L'ombre envahit les voûtes ogivales, comble les nefs, baigne l'humanité pétrifiée du majestueux édifice. A nos côtés, les colonnes, puissantes et graves, montent vers les arcs enchevêtrés, les croisillons, les pendentifs que l'obscurité grandissante dérobe maintenant à nos yeux. Une cloche tinte. Un prêtre invisible récite à mi-voix l'oraison du soir, et le glas d'en haut répond à la prière du bas. Seules les flammes tranquilles des cierges piquent d'éclats d'or les ténèbres du sanctuaire. Puis, l'office achevé, un silence sépulcral pèse sur toutes ces choses inertes et froides, témoins d'un passé lointain, lourd de mystère et d'inconnu...

Les quatre gardiennes de pierre, en leur attitude figée, semblent émerger, imprécises et floues, du sein de cette pénombre. Sentinelles muettes de l'antique Tradition, ces femmes symboliques, veillant, aux angles du mausolée vide, les images rigides, marmoréennes, de corps dispersés, enfouis on ne sait où, émeuvent et mènent à penser. O vanité des choses terrestres ! Fragilité des richesses humaines ! Que restera-t-il à présent de ceux dont vous deviez commémorer la gloire et rappeler la grandeur ? Un cénotaphe. Moins encore : un prétexte d'art, un support de science, chef-d'œuvre dépourvu d'utilité et de destination, simple souvenir historique, mais dont la portée philosophique et l'enseignement moral dépassent de beaucoup la banalité somptueuse de sa première affectation.

Et, devant ces nobles figures des Vertus cardinales, voilant les quatre connaissances de l'éternelle Sapience, les paroles de Salomon (Prov., III, 13 à 19) nous viennent tout naturellement à l'esprit :

" Heureux l'homme qui a trouvé la Sagesse ; heureux celui qui progresse dans l'intelligence ! Car le trafic qu'on peut faire d'elle est meilleur que celui de l'argent, et le revenu qu'on en peut tirer vaut mieux que l'or le plus fin. Elle est plus précieuse que les perles, et toutes choses désirables ne la valent point. Elle a de longs jours dans sa main droite et de la gloire dans sa gauche. Ses voies sont des voies agréables, et tous ses sentiers sont remplis de prospérité. Elle est l'arbre de vie pour ceux qui l'embrassent, et tous ceux qui la conservent sont rendus bienheureux. L'Eternel a fondé la terre par la Sagesse et agencé les cieux par l'intelligence. "

 

 

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