Tarot du château des Avenières, l'arcane du Diable 15

 

Diable ou Satan ?

Sur cette quinzième lame du tarot de la chapelle du château des Avenières (pour voir les autres lames, en mosaïque sur les murs de cette chapelle privée, suivre le lien en bas de page) un diable est assis en tailleur sur un cercle magique. Arcane redoutable et maléfique que le diable, arcane qui sent le soufre. Et pourtant !

"Diable" signifie en grec "diabolein" (diabolein), séparer, et s'oppose à "symbolein" (symbolein) réunir, ce que fait tout "symbole". Le cercle est l'image de l'unité, du divin. Le cercle coupé en deux représente la séparation, comme ici le cercle sur lequel le diable est assis.

Le diable est responsable de la séparation, de la dualité. Il permet donc la manifestation de toute chose par l'existence de pôles opposés, masculin et féminin, moteurs de la vie. Le cercle, coupé en deux horizontalement par la corde qui relie la femme et l'homme, en est l'expression. Astucieusement A. Dina figure là le symbole alchimique du sel, cercle coupé en deux horizontalement. En alchimie le sel est le corps où le mercure et le soufre, le féminin et le masculin, se conjuguent.

 

 

Lame 15 du tarot, le diable

Lame 15 du tarot, le diable

 

La puissance masculine est un fait connu. A l'inverse, l'idée de puissance féminine est moins évoquée. Et pourtant, la vraie puissance n'est-elle pas la force invisible, magique, comme celle qui permet à la vache d'attirer le taureau ? Ces deux opposés, féminin et masculin, mercure et soufre, sont la base de toute la manifestation tangible, à quelque niveau que ce soit. La sexualité n'est qu'une forme de cette opposition constructive, nécessaire à la manifestation terrestre. La Matière, loin d'être la partie damnée de la Création comme le croyaient les Cathares, est le lieu d'expérimentation de l'Esprit. Elle en est le Temple ici-bas, pour un temps restreint dans chaque incarnation de personne, de chose, d'idée.

Quant à la figuration du diable, A. Dina reprend celle figurée par Oswald Wirth, hormis la poitrine, féminine sur le tarot de Wirth. Oswald Wirth plagie d'ailleurs le livre de Stanislas de Guaita dans lequel Eliphas Lévi, pseudonyme d'Alphonse Louis Constant (1810-1875), illustre le diable par une gravure. Osawld Wirth est également l'illustrateur de l'ouvrage de son maître, Stanislas de Guaita.

 

 

Arcane 15, le diable sous forme de bouc humanisé

 

 

 

Gravure tirée du "Temple de Satan", de Stanislas de Guaita

Gravure tirée du "Temple de Satan" de Stanislas de Guaita, page 50

 

Eliphas Lévi a gravé ce diable pour l'ouvrage "Le temple de Satan", édité chez Chamuel en 1891, deuxième tome de la trilogie nommée "esssai des sciences maudites" de Stanislas de Guaita. Nous verrons plus loin ce que l'on peut entendre par "Satan". Il reprend pour une part le mystérieux emblème alchimique d'Henri Khunrath (1560-1605), amoureux de théosophie et docteur en médecine, publié dans son livre "Amphithéatre de l'éternelle sagesse", imprimé à Hambourg en 1595.

Le Rebis signifie "chose double" ou "deux choses en une". C'est un terme propre à l'alchimie. Il désigne le composé luni-solaire, ou oeuf philosophal, prêt à subir la coction finale. La devise "solve - coagula" inscrite sur ses deux bras signifie "dissoud et coagule", qui est l'axiome de base de l'alchimie. Vous pouvez retrouver la gravure de Henri Kunrath dans son ensemble ailleurs sur ce site, en suivant ici le lien.

 

 

Henri Kunrath, Solve et coagula

Le Rebis - chose double - d'Henri Kunrath

 

 

Laissons l'alchimie et revenons au diable.

Le diable est-il maléfique ? Dans le sens commun, oui. Nous le retrouvons sculpté au fronton de presque toutes nos cathédrales. Il est pourtant un agent essentiel de l'ordre divin.

En effet il est toujours représenté à côté de l'archange Saint Michel lors de l'épisode apocalyptique de la pesée des âmes à la fin des temps. L'archange est en éternel combat contre le prince des ténèbres, Lucifer, le chef des diables. Cependant à la fin des temps, ils font oeuvre commune. Saint Michel pèse les âmes des défunts lors de leur résurrection. Si l'âme est légère, elle va à la droite du Christ ressuscité, au Paradis. Si l'âme est lourde, le diable l'attrape et l'emmène dans la bouche de l'enfer.

 

Cathédrale de Bourges, le diable se tient prés de l'archange Saint Michel pour la pesée des âmes.

Cathédrale de Bourges, le diable se tient prés de l'archange Saint Michel qui pèse les âmes.

 

Le chef des diables, Lucifer, et ses légions de diables sont chargés d'exécuter cette action nécessaire. Elle ôte du Paradis ceux qui ont l'âme lourde. Ainsi Lucifer est chargé de faire respecter l'ordre voulu par Dieu. Il participe à la gestion des choses du ciel, en faisant l'éboueur des âmes, de celles qui n'ont pas voulu être sauvées. Voyez la parabole de Lazarre et du mauvais riche, en image sur un vitrail de la cathédrale (autre page de ce site) de Bourges. L'un monte au ciel, l'autre va en enfer. Le deuxième supplie le premier d'intervenir en sa faveur, mais un abîme a été mis entre eux par Dieu lui-même afin que les lourds ne dérangent pas les légers. Dans l'au-delà il y a donc une métaphysique liée à la pesanteur.

 

Stained-glass, cathedrale de Bourges, les âmes mauvaises sont jetées dans la gueule de l'enfer.

Cathédrale de Bourges, les âmes lourdes sont jetées dans la gueule de l'enfer.

 

Dans ce vitrail de la pesée des âmes de la cathédrale de Bourges et de la conduite aux bouches de l'enfer des exclus, les recalés au Paradis sont jetés tête en avant vers le bas. Là encore la notion de pesanteur et de descente est soulignée. Les diables font un bon travail, ils recyclent ceux qui ont échoué à l'épreuve de la balance, attibue de la justice dont le fonctionnement est basé sur la mise en oeuvre de la gravité.

Arrêtons-nous un instant sur le grand meneur d'âme, le chef des diables, Lucifer en personne à la tête rouge et cornue, symbole de sa bestialité.

Situé à gauche de la bouche de l'enfer, il emmène, enchaînés à son épaule, un roi, un évêque, un moine, une dame de qualité et d'autres. Regardez bien ce diable...

 

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Son corps est bleu, il se confond avec le ciel. Ses pieds, humains et non de bouc, portent au talon une paire d'ailes, comme le dieu Mercure ou Hermès, le passeur des âmes du monde gréco-latin. Ce Lucifer n'est-il pas la part obscure de ces êtres, déchus de leur statut d'humain par la pratique de tant de vices. L'étmologie de "vice" signifie "ce qui conduit vers" ? Leurs vices de leur vie les emmène à la bouche de l'enfer, en une attraction irrésistible.

Ceci amène à clarifier la notion de Satan.

Si le diable obéit à l'ordre cosmique, Satan cherche à séparer l'humain de son berceau divin. L'homme, oubliant qu'il est une création du ciel, cherche une fin pour lui-même des êtres et événénements qui l'entourent. Ainsi il conjuguera ce que les sages du moyen-âge appellent lourdeur, avarice, méchanceté, apostasie, désespoir... autant de "vices" qui s'oposent aux vertus, "virtus-utis" en latin, une forme du courage, d'être dans la légèreté, la charité, la gentillesse, l'espérance... Il s'agit non pas de morale mais d'un chemin iniatique pour l'âme. Je vous invite à découvrir ce chemin à travers les vitraux des vices et vertus exposés dans la rosace ouest de la cathédrale de Paris, ailleurs sur ce site.

Satan incarne cette victoire du vice sur la vertu. Il doit être combattu durant notre vie sur terre. Lors du pélerinage à La Mecque, chaque pélerin est invité, en tournant autour de la Kaabah, à jeter physiquement des pierres sur une effigie de Satan, nommé Shaïtan, afin de mieux le repousser dans sa vie quotidienne. C'est évidemment ce à quoi les chrétiens sont aussi conviés.

Que penser des pratiques de sorcellerie, envoûtement, figures magiques tracées au sol, incantation ... ? S'il est avéré que depuis des temps anciens certains ont essayé d'avoir recours à des pratiques de magie noire, notamment par des poupées de cire et des aiguilles (Musée du Louvre, département des objets coptes), elles relèvent quasi exclusivement d'esprit humains désaxés, torturés, défaillants. Ils s'enferment dans un monde de pseudo-pouvoir, oubliant leur lumière intérieure qui est la seule "force, forte de toutes force" ("Table d'Emeraude", texte alexandrin philosophique de la période égyptienne héllénistique). Elle seule leur permettrait de refaire surface à eux-mêmes.

N'oublions pas que deux portes bornent notre vie de manière mystérieuse, la porte d'entrée et la porte de sortie, naissance et mort, sur lesquels nous sommes impuissants. Par contre être maître de notre activité humaine est à notre portée. Ne l'oublions pas, sinon notre âme, telle une bille sur un plan incliné, glissera d'elle-même dans la bouche de l'enfer. A l'inverse, si la qualité de "légèreté" a été dominante, au trépas notre âme montera comme une bulle d'air du fond du marécage jusqu'à la surface où lumière et air dominent, autrement dit, le monde divin.

En raccourci, il est possible dire que les diables évacuent les tenants de Satan vers le bas. Ils punissent donc les sataniques, dure besogne dont ont besoin les rachetés pour être en paix dans la lumière divine.

 

Cette arcane 15 mérite un temps d'arrêt. Le message est important quoique complexe. Il faut en appréhender les enjeux pour ne pas en avoir peur.

 

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L'ensemble de ces figures géométriques, composant les XXII lames du tarot, constitue peut-être un message ou une grille de lecture propre à A. Dina, concepteur de ce jeu de tarot revisité. La solution de l'énigme, la compréhension de cet ensemble, est aujourd'hui perdue.

 

Ci-dessous vous voyez, en référence, la lame du tarot de Marseille redessinée et peinte par Oswald Wirth (1860-1943), en 1889, pour son maître Stanislas de Guaita (1861-1897) ainsi qu'à droite une première épure, non datée.

 

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Tarot de Wirth, 1889. Copyright © the Golden Dawn Research Trust, 2008

 

Cette lame de tarot s'insère dans un ensemble absolument unique de tarots figurés aux murs de la chapelle de dévotion privée de la richissime américaine Mary Shillito au château des Avenières, situé entre Annecy et Genève, en 1915. Le destin, sous les traits d'une amie, Amina Dina, et son frère le mauricien Assan Dina, transforma cette chapelle en lieu d'enseignement privé, par le biais du jeu de tarots de Marseille, revisité par oswald Wirth et A. et A. Dina. Je vous invite à découvrir cette avanture exceptionnelle et l'ensemble des lames de tarot de la chapelle du château des Avenières.

 

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