Fulcanelli et son livre "Le mystère des cathédrales" Texte complet sur la cathédrale Notre Dame de Paris
I
La cathédrale de Paris, ainsi que la plupart des basiliques métropolitaines, est placée sous linvocation de la benoîte Vierge Marie ou Vierge-Mère. En France, le populaire appelle ces églises des Notre-Dame. En Sicile, elles portent un nom encore plus expressif encore, celui de Matrices. Ce sont donc bien des temples dédiés à la Mère (lat. mater, matris), à la Matrone dans le sens primitif, mot qui, par corruption, est devenu la Madone (lat. ma donna), ma Dame, et, par extension, Notre-Dame.Franchissons la grille du porche, et commençons létude de la façade par le grand portail, dit porche central ou du Jugement.
Le pilier trumeau, qui partage en deux la baie dentrée, offre une série de représentations allégoriques des sciences médiévales. Face au parvis, et à la place dhonneur,- lalchimie y est figurée par une femme dont le front touche les nues. Assise sur un trône, elle tient de la main gauche un sceptre, insigne de souveraineté, tandis que la droite supporte deux livres, lun fermé (ésotérisme), lautre ouvert (exotérisme). Maintenue entre ses genoux et appuyée contre sa poitrine se dresse léchelle aux neuf degrés, scala philosophorum, hiéroglyphe de la patience que doivent posséder ses fidèles, au cours des neufs opérations successives du labeur hermétique (pl. II). " La patience est leschelle des Philosophes, nous dit Valois, et lhumilité est la porte de leur jardin; car quiconque persévérera sans orgueil et sans envie, Dieu lui fera miséricorde. "
Tel est le titre du chapitre de ce mutus Liber quest le temple gothique; le frontispice de cette Bible occulte aux massifs feuillets de pierre; lempreinte, le sceau du Grand Oeuvre laïque au front du Grand Oeuvre chrétien. Il ne pouvait être mieux situé quau seuil même de lentrée principale.
Ainsi, la cathédrale nous apparaît basée sur la science alchimique, investigatrice des transformations de la substance originelle, de la Matière élémentaire (latin : materea, racine mater, mère. Car la Vierge Mère, dépouillée de son voile symbolique, nest autre chose que la personnification de la substance primitive dont se servit pour réaliser ses desseins, le Principe créateur de tout ce qui est. Tel est le sens, dailleurs fort lumineux, de cette épître singulière quon lit à la messe de lImmaculée-Conception de la Vierge, et dont voici le texte :
" Le Seigneur ma possédée au commencement de ses voies. Jétais avant quil formât aucune créature. Jétais de toute éternité avant que la terre ne fut créée. Les abîmes nétaient pas encore, et déjà jétais conçue. Les fontaines nétaient pas encore sorties de la terre; la pesante masse des montagnes nétait pas encore formée; jétais enfantée avant les collines. Il navait crée ni la terre, ni les fleuves, ni affermi le monde sur ses pôles. Lorsquil préparait les Cieux, jétais présente; lorsquil environnait les abîmes de leurs bornes et quil prescrivait une loi inviolable; lorsquil affermissait lair au dessus de la terre; lorsquil donnait leur équilibre aux eaux des fontaines; lorsquil renfermait la mer dans ses limites et lorsquil imposait une loi aux eaux afin quelles ne passassent point leurs bornes; lorsquil posait les fondements de la terre, jétais avec lui, et je réglais toutes choses. "
Il sagit visiblement ici de lessence même des choses. Et, en effet, les Litanies nous apprennent que la Vierge est le Vase qui contient lEsprit des choses : Vas spirituale. " Sur une table, à hauteur de la poitrine des Mages, nous dit Eteilla, étoient, dun côté, un livre ou une suite de feuillets ou lames dor (le livre de Thot) et, de lautre côté, un vase plein dune liqueur céleste-astrale, composée dun tiers de miel sauvage, dune part deau terrestre et dune part deau céleste... Le secret, le mystère étoit dans le vase. "
Cette Vierge singulière, Virgo singularis, comme le désigne expressément lEglise est, au surplus, glorifiée sous des épithètes qui dénotent assez son origine positive. Ne la nomme-t-on pas aussi le Palmier de la Patience (Palma patientiae); le Lis entre les épines(lilium inter spinas); le Miel symbolique de Samson; la Toison de Gédéon; la Rose mystique; la Porte du Ciel; la Maison de lOr; etc.? Les mêmes textes appellent encore Marie le Siège de la Sagesse, en dautres termes le Sujet de la Science hermétique, de la sapience universelle. Dans le symbolisme des métaux planétaires, cest la Lune, qui reçoit les rayons du Soleil et les conserve secrètement dans son sein. Cest la dispensatrice de la substance passive, que lesprit solaire vient animer. Marie, Vierge et Mère, représente donc la forme; Elie, le Soleil Dieu le Père est lemblème de lesprit vital. De lunion de ces deux principes résulte la matière vivante, soumise aux vicissitudes des lois de mutation et de progression. Cest alors Jésus, lesprit incarné, le feu corporifié dans les choses telles que nous les connaissons ici-bas :
ET LE VERBE SEST FAIT CHAIR, ET IL A HABITE PARMI NOUS.
Dautre part, la Bible nous enseigne que Marie, mère de Jésus, était de la tige de Jessé. Or, le mot hébreu Jes signifie le feu, le soleil, la divinité. Etre de la tige de Jessé, cest donc être de la race du soleil, du feu. Comme la matière tire son origine du feu solaire, ainsi que nous venons de le voir, le même nom de Jésus nous apparaît dans sa splendeur originelle et céleste : feu, soleil, Dieu.
Enfin, dans lAve Regina, la Vierge est appelée proprement Racine ( Salve Radix ) pour marquer quelle est le principe et le commencement du Tout. " Salut, racine, par laquelle la Lumière a brûlé sur le monde. "
Telles sont les réflexions suggérées par lexpressif bas-relief qui accueille le visiteur sous le porche de la basilique. La Philosophie hermétique, la vieille Spagyrie lui souhaitent la bienvenue dans léglise gothique, le temple alchimique par excellence. Car la cathédrale tout entière nest quune glorification muette, mais imagée, de lantique science dHermès, dont elle a su, dailleurs, conserver lun des anciens artisans. Notre-Dame de Paris, en effet, garde son alchimiste.
retour à la page web Notre Dame, la Philosophie ou Scala philosophorum Si, poussé par la curiosité, ou pour donner quelque agrément à la flânerie dun jour dété, vous gravissez lescalier en hélice qui accède aux parties hautes de lédifice, parcourez lentement le chemin, creusé comme une rigole, au sommet de la seconde galerie. Arrivé près de laxe médian du majestueux édifice, à langle rentrant de la tour septentrionale, vous apercevrez, au milieu du cortège de chimères, le saisissant relief dun grand vieillard de pierre. Cest lui, cest lalchimiste de Notre-Dame (pl. III).
Coiffé du bonnet phrygien, attribut de lAdeptat négligemment posé sur la longue chevelure aux boucles épaisses, le savant, serré dans la cape légère du laboratoire, sappuie dune main sur la balustrade, tandis quil caresse, de lautre, sa barbe abondante et soyeuse. Il ne médite pas, il observe. Loeil est fixe; le regard, dune étrange acuité. Tout, dans lattitude du Philosophe, révèle une extrême émotion. La courbure des épaules, la projection en avant de la tête et du buste trahissent, en effet, la plus foret surprise. En vérité, cette main pétrifiée sanime. Est-ce une illusion ? On croirait la voir trembler...
Quelle splendide figure que celle du vieux maître qui scrute, interroge, anxieux et attentif, lévolution de la vie minérale, puis contemple enfin, ébloui, le prodige que sa foi seule lui laissait entrevoir !
Et quelles sont pauvres, les statues modernes de nos savants, quelles soient coulées dans le bronze ou taillées dans le marbre, auprès de cette image vénérable, dun si puissant réalisme en sa simplicité !
II Le stylobate de la façade, qui se développe et sétend sous les trois porches, est tout entier consacré à notre science; et cest un véritable régal pour le déchiffreur des énigmes hermétiques que cet ensemble dimages aussi curieuses quinstructives.Cest là que nous allons trouver le nom lapidaire du sujet des Sages; là, enfin, que nous suivrons pas à pas le travail de lElixir, depuis sa calcination première jusquà son ultime coction.
Mais afin de garder quelque méthode en cette étude, nous observerons toujours lordre de succession des figures, en allant de lextérieur vers les ventaux du porche, comme le ferait un fidèle pénétrant dans le sanctuaire.
Sur les faces latérales des contreforts qui limitent le grand portail, nous trouverons, à hauteur de loeil, deux petits bas-reliefs encastrés chacun dans une ogive. Celui du pilier de gauche présente lalchimiste découvrant la Fontaine mystérieuse que le Trévisan décrit dans la Parabole finale de son livre sur la Phylosophie naturelle de Métaux.
Lartiste a cheminé longtemps; il a erré par les voies fausses et les chemins douteux; mais sa joie éclate enfin ! Le ruisseau deau vive coule à ses pieds; il sourd, en bouillonnant, du vieux chêne creux. Notre Adepte a frappé le but. Aussi, dédaignant larc et les flèches avec lesquelles, à linstar de Cadmus, il transperça la dragon, il regarde ondoyer la source limpide dont la vertu dissolvante et lessence volatile lui sont attestées par un oiseau perché sur larbre (pl. IV).
Mais quelle est cette Fontaine occulte ? De quelle nature est ce puissant dissolvant capable de pénétrer tous les métaux, - lor en particulier - et daccomplir, avec laide du corps dissous, le grand ouvrage en entier ? Ce sont là des énigmes si profondes quelles ont rebuté un nombre considérable de chercheurs; tous, ou presque, se sont brisés le front contre ce mur impénétrable, élevé par les Philosophes pour servir denceinte à leur citadelle.
La mythologie la nomme Libéthra et nous raconte que cétait une fontaine de Magnésie, laquelle avait, dans son voisinage, une autre source nommée la Roche. Toutes deux sortaient dune grosse roche dont la figure imitait le sein dune femme; de sorte que leau semblait couler de deux mamelles comme du lait. Or, nous avons vu que les anciens auteurs appellent la matière de luvre notre Magnésie et que la liqueur extraite de cette magnésie est dite Lait de la Vierge. Il y a là une indication. Quant à lallégorie du mélange ou de la combinaison de cette eau primitive issue du Chaos des Sages, avec une seconde eau de nature différente (quoique de même genre), elle est assez claire et suffisamment expressive. De cette combinaison résulte une troisième eau qui ne mouille pas les mains, et que les Philosophes ont appelé tantôt Mercure, tantôt Soufre, selon quils envisageaient la qualité de cette eau ou son aspect physique.
Dans le traité de lAzoth, attribué au célèbre moine dErfurth, Basile Valentin, et qui serait plutôt loeuvre de Senior Zadith, on remarque une figure sur bois représentant une nymphe ou sirène couronnée, nageant sur la mer et faisant jaillir, de ses seins rebondis, deux jets de lait qui se mélangent avec les flots.
Chez les auteurs arabes, cette fontaine porte le nom dHolmat; ils nous enseignent, de plus que ses eaux donnèrent limmortalité au prophète Elie (Hlioz , soleil). Ils placent la source fameuse dans le Modhallan, terme dont la racine signifie Mer obscure et ténébreuse, ce qui marque bien la confusion élémentaire que les Sages attribuent à leur Chaos ou matière première.
Une réplique peinte de la fable que nous venons de citer se trouvait dans la petite église de Brixen (Tyrol). Ce curieux tableau, décrit par Misson et signalé par Witkowski, paraît être la version religieuse du même thème chimique. " Jésus fait couler dans un grand bassin le sang de son côté, ouvert par la lance de Longin; la Vierge presse ses mamelles, et le lait qui en jaillit tombe dans le même récipient. Le trop-plein sécoule dans un second bassin et se perd au fond dun gouffre de flammes, où les âmes du Purgatoire, des deux sexes, en bustes nus, sempressent à recevoir cette précieuse liqueur qui les console et les rafraîchit. "
Au bas de cette vieille peinture, on lit linscription en latin de sacristie :
Dum fluit e Christi benedicto Vulnere sanguis,
Et dum Virgineum lac pia Virgo premit,
Lac fuit et sanguis, sanguis conjungitur et Lac
Et sit Fons Vitae, Fons et Origo boni.
Parmi les descriptions qui accompagnent les Figures symboliques dAbraham le Juif, dont le livre, dit-on, appartint à Nicolas Flamel, et que cet Adepte tenait exposées dans sa boutique décrivain, nous en relèverons deux qui ont trait à la Fontaine mystérieuse et à ses composants. Voici les textes originaux de ces deux légendes explicatives :
" Troisième figure. Est dépeint et représenté un jardin clos de hayes, où y a plusieurs quarreaux. Au milieu, y a un vieil creux de chesne, au pied duquel, à costé, y a un rosier à feuilles dor et de roses blanches et rouges, qui entoure ledit chesne jusquen haut, proche de ses branches. Et au pied dudit creux de chesne bouillonne une fontaine clere comme argent, qui se va perdant en terre; et parmy plusieurs qui la cherchent , estoient quatre aveugles qui la houent et quatre autres qui la cherchent sans fouiller, estant ladite fontaine devant eux, et ne peuvent la trouver, excepté un qui la pèse en sa main. "
Cest ce dernier personnage qui forme le sujet du motif sculpté de Notre-Dame de Paris. La préparation du dissolvant en question est relatée dans lexplication qui accompagne limage suivante :
" Quatrième figure. Est dépeint un champ, auquel y a un roy couronné, habillé de rouge à la Juifve, tenant une espée nue; deux soldats qui tuent des enfants de deux mères, qui jettent le sang dans une grande cuve pleine dudit sang, où le soleil et la lune, descendans du ciel ou des nues, se viennent baigner. Et sont six soldats armez darmure blanche, et le roy fait le septiesme, et sept innocents morts, et deux mères, lune vestue de bleu, qui pleure, sessuiant la face dun mouchoir, et lautre qui pleure aussi, vestue de rouge. "
Signalons encore une figure du livre de Trismosin, qui est, à très peu près, semblable à la troisième dAbraham. On y voit un chêne dont le pied, ceint dune couronne dor, donne naissance au ruisseau occulte qui sécoule dans la campagne. Dans les frondaisons de larbre, des oiseaux blancs sébattent, à lexception dun corbeau, qui semble endormi, et quun homme pauvrement habillé, dressé sur une échelle, sapprête à saisir. Au premier plan de cette scène rustique, deux sophistes, vêtus avec recherche détoffes somptueuses, discutent et argumentent sur ce point de science, sans remarquer le chêne placé derrière eux, ni voir la Fontaine qui coule à leurs pieds...
Disons enfin que la tradition ésotérique de la Fontaine de Vie ou Fontaine de Jouvence se trouve matérialisée dans les Puits sacrés que possédaient, au moyen âge, la plupart des églises gothiques. Leau quon y puisait passait le plus souvent pour avoir des vertus curatives, et on lemployait dans le traitement de certaines maladies. Abbon, dans son poème sur le siège de Paris par les Normands, rapporte plusieurs traits qui attestent les propriétés merveilleuses de leau du puits de Saint-Germain-des-Prés, lequel était foré au fond du sanctuaire de la célèbre abbatiale. De même, leau du puits de Saint-Marcel, à Paris, creusé dans léglise, près de la pierre tombale du vénérable évêque, se révélait, daprès Grégoire de Tours, comme un puissant spécifique de plusieurs affections. Il existe encore aujourdhui à lintérieur de la basilique ogivale Notre-Dame de lEpine (Marne), un puits miraculeux, dit Puits de la Sainte-Vierge, et, au milieu du choeur de Notre-Dame de Limoux (Aude), un puits analogue dont leau guérit, dit-on, toutes les maladies; il porte cette inscription :
Omnis qui bibit hanc aquam, si fidem addit, savus erit.
Quiconque boit cette eau, sil y joint la foi, sera bien portant.
retour à la page web Notre Dame, la fontaine d'eau-viveNous aurons bientôt loccasion de revenir sur cette eau pontique, à laquelle les Philosophes ont donné une foule dépithètes plus ou moins suggestives.
En face du motif sculpté traduisant les propriétés et la nature de lagent secret, nous allons assister, sur le contrefort opposé, à la cuisson du compost philosophal. Lartiste, cette fois, veille sur le produit de son labeur. Revêtu de larmure, les jambes bardées de grèves et lécu au bras, notre chevalier est campé sur la terrasse dune forteresse, si nous en jugeons par les créneaux qui lentourent. Dans un mouvement défensif, il menace du javelot une forme imprécise (quelque rayon ? une gerbe de flammes ?), quil est malheureusement impossible didentifier, tant le relief en est mutilé. Derrière le combattant, un petit édifice bizarre, formé dun soubassement cintré, crénelé et porté sur quatre piliers, est recouvert dun dôme segmenté à clef sphérique. Sous la voûte inférieure, une masse aculéiforme et flammée vient en préciser la destination. Ce curieux donjon, burg en miniature, cest linstrument du Grand Oeuvre, lAthanor, locculte four aux deux flammes, potentielle et virtuelle, - que tous les disciples connaissent et que nombre de descriptions, de gravures ont contribué à vulgariser (pl. V).
Immédiatement au dessus de ces figures sont reproduits deux sujets qui en paraissent former le complément. Mais, comme lésotérisme se cache ici sous des dehors sacrés et des scènes bibliques, nous éviterons den parler, afin de ne point encourir le reproche dune interprétation arbitraire. De grands savants, parmi les maître anciens, nont pas craint dexpliquer alchimiquement les paraboles des saintes Ecritures, tant le sens en est susceptible de versions diverses. La Philosophie hermétique invoque fréquemment le témoignage de la Genèse pour servir danalogie au premier travail de luvre ; quantité dallégories du vieux et du nouveau Testament prennent un relief imprévu au contact alchimique. de tels précédents devraient à la fois et nous encourager et nous servir dexcuse; nous préférons cependant nous en tenir exclusivement aux motifs dont le caractère profane est indiscutable, laissant aux instigateurs bénévoles la faculté dexercer leur sagacité sur les autres.
III Les sujets hermétiques du stylobate se développent sur deux rangs superposés, à droite et à gauche du porche. Le rang inférieur comporte douze médaillons, et le rang supérieur douze figures. Ces dernières représentent des personnages assis sur des socles ornés de cannelures à profil tantôt concave, tantôt angulaire, et placés dans les entre-colonnements darcades trilobées. Tous présentent des disques garnis demblèmes variés ayant trait au labeur alchimique.Si nous commençons par le rang supérieur, côté gauche, le premier bas-relief nous montrera limage du corbeau, symbole de la couleur noire. La femme qui le tient sur ses genoux symbolise la Putréfaction (pl.VI).
Quil nous soit permis de nous arrêter un instant sur lhiéroglyphe du Corbeau, parce quil cache un point important de notre science. Il exprime, en effet, dans la cuisson du Rebis philosophal, la couleur noire, première apparence de la décomposition consécutive à la mixtion parfaite des matières de luf. Cest, au dire des Philosophes, la marque certaine du succès futur, le signe évident de lexacte préparation du compost. Le Corbeau est, en quelque sorte, le sceau canonique de l'uvre, comme létoile est la signature du sujet initial.
Mais, cette noirceur que lartiste espère, quil attend avec anxiété, dont lapparition vient combler ses voeux et le remplir de joie, ne se manifeste pas seulement au cours de la coction. Loiseau noir paraît à diverses reprises, et cette fréquence permet aux auteurs de jeter la confusion dans lordre des opérations.
Selon Le Breton, " il y a quatre putréfactions dans luvre philosophique. La première, dans la première séparation; la seconde, dans la première conjonction; la troisième dans la seconde conjonction, qui se fait de leau pesante avec son sel; la quatrième, enfin, dans la fixation de soulphre. Dans chacune de ces putréfactions, la noirceur, arrive. "
Nos vieux maîtres ont donc eu beau jeu pour couvrir larcane dun voile épais, en mélangeant les qualités spécifiques des diverses substances, au cours des quatre opérations qui manifestent la couleur noire. Aussi devient-il très laborieux de les séparer et de distinguer nettement ce qui appartient à chacune delles.
Voici quelques citations qui pourront éclairer linvestigateur et lui permettre de reconnaître sa route dans ce ténébreux labyrinthe.
" Dans la seconde opération, écrit le Chevalier Inconnu, le prudent artiste fixe lâme générale du monde dans lor commun et rend pure lâme terrestre et immobile. Dans cette dite opération, la putréfaction, quils appellent la Tête de Corbeau, est très longue. Celle-ci est suivie dune troisième multiplication en adjudant la matière philosophique ou lâme générale du monde. "
Il y a là, clairement indiquée, deux opérations successives, dont la première se termine et la seconde commence après lapparition de la couleur noire, ce qui nest pas le cas de la coction.
Un précieux manuscrit anonyme du XVIIIe siècleparle ainsi de cette putréfaction première, quil ne faut pas confondre avec les autres :
" Si la matière nest pas corrompue et mortifiée, dit cet ouvrage, vous ne pourrez pas extraire nos élémens et nos principes; et pour vous aider en cette difficulté, je vous donnerai des signes pour la connoistre. Quelques Philosophes lont aussi marqué. Morien dit : il faut quon y remarque quelque acidité, et quelle ait quelque odeur de sépulcre. Philalèthe dit quil faut quelle paroisse comme des yeux de poisson, cest-à-dire des petites bouteilles sur la superficie, et quil paroisse quelle écume; car cest une marque que la matière se fermente et quelle bout. Cette fermentation est fort longue et il faut avoir une grande patience, parce quelle se fait par notre feu secret, qui est le seul agent qui puisse ouvrir, sublimer et putréfier. "
Mais, de toutes ces descriptions, celles qui se rapportent au Corbeau (ou couleur noire) de la coction sont de beaucoup les plus nombreuses et les plus fouillées, parce quelles englobent tous les caractères des autres opérations.
Bernard Trévisan sexprime de cette manière :
" Notez donc que, quand nostre compost commence à estre abreuvé de nostre eau permanente, lors et tout le compost tourné en manière de poix fondue, et est tout noircy comme charbon. Et en cet endroit est appelé nostre compost : la poix noire, le sel bruslé, le plomb fondu, le laton non net, la Magnésie et le Merle de Jean. Car lors est veuë une nuée noire, volant par la moyenne région du vaisseau; en belle et souëfve manière, estre eslevée au dessus du vaisseau; et au fond diceluy est ma matière fondue en manière de poix, et demeure totalement dissoulte. De laquelle nuë parle Jaques du bourg S. Saturnin, disant : O benoiste nuë qui tenvoles par notre vaisseau ! Là est léclipse du soleil, dont parle Raymond. Et quand ceste masse est aisy noircie, adonc elle est dicte morte et privée de sa forme... Lors est manifestée lhumidité en couleur dargent vif noir et puant, lequel estoit premièrement sec, blanc, bien odorant, ardent, dépuré de soulphre par la première opération, et maintenant à dépurer par ceste seconde opération. Et pour ce, est privé ce corps de son âme, quil a perdue, et de sa resplendeur et merveilleuse lucidité quil avoit premièrement, et maintenant est noir et enlaidy... Ceste masse ainsy noire ou noircie est la clef, le commencement et le signe de la parfaicte invention de la manière (104) doeuvrer du second régime de nostre pierre précieuse. Pourquoy, dict Hermès, veuë la noirceur, croyez que vous avez esté par une bonne sente et tenu bon chemin ."
Batsdorff, auteur présumé dun ouvrage classique,que dautres attribuent à Gaston de Claves, enseigne que la putréfaction se déclare quand la noirceur apparaît, et que cest là le signe dun travail régulier et conforme à la nature. Il ajoute : " Les Philosophes lui ont donné divers noms et lont appelée Occident, Ténèbres, Eclypse, Lèpre, Teste de Corbeau, Mort, Mortification du Mercure... Il appert donc que par cette putréfaction on fait la séparation du pur et de limpur. Or, les signes dune bonne et vraye putréfaction sont une noirceur très noire ou très profonde, une odeur puante, mauvaise et infecte, dite des Philosophes toxicum et venenum, laquelle odeur nest pas sensible à lodorat, mais seulement à lentendement. "
Arrêtons ici ces citations, que nous pourrions multiplier sans autre profit pour létudiant, et revenons aux figures hermétiques de Notre-Dame.
Le second bas-relief nous offre leffigie du Mercure philosophique : un serpent enroulé sur la verge dor. Abraham le Juif, connu aussi sous le nom dEléazar, en fit usage dans le livre qui échut à Flamel, ce qui na rien de surprenant, car nous rencontrons ce symbole durant toute la période médiévale (pl.VII).
Le serpent indique la nature incisive et dissolvante du Mercure, qui absorbe avidement le soufre métallique et le retient si fort que la cohésion ne peut être ultérieurement vaincue. Cest là ce " ver empoisonné qui infecte tout par son venin ", dont parle lAncienne Guerre des Chevaliers. Ce reptile est le type du Mercure dans son premier état, et la verge dor, le soufre corporel qui lui est ajouté. La dissolution du soufre ou, en dautres termes, son absorption par le mercure, a fourni le prétexte demblèmes très divers; mais le corps résultant, homogène et parfaitement préparé, conserve le nom de Mercure philosophique et limage du caducée. Cest la matière ou le composé du premier ordre, loeuf vitriolé qui nexige plus quune cuisson graduée pour se transformer dabord en soufre rouge, ensuite en Elixir, puis , au troisième période, en Médecine universelle. " Dans notre Oeuvre, affirment les Philosophes, le Mercure seul suffit ."
Une femme, aux longs cheveux mouvants comme des flammes, vient ensuite. Personnifiant la Calcination, elle presse sur sa poitrine le disque de la Salamandre"qui vit dans le feu et se nourrit de feu " (pl. VIII). Ce lézard fabuleux ne désigne pas autre chose que le sel central, incombustible et fixe, qui garde sa nature jusque dans les cendres des métaux calcinés, et que les Anciens ont nommé Semence métallique. Dans la violence de laction ignée, les portions adustibles du corps se détruisent; seules les parties pures, inaltérables, résistent et, quoique très fixes, peuvent sextraire par lixiviation.
Telle est, du moins, lexpression spagyrique de la calcination, similitude dont usent les Auteurs pour servir dexemple à lidée générale que lon doit avoir du travail hermétique. Cependant, nos maîtres dans lArt ont soin dattirer lattention du lecteur sur la différence fondamentale existant entre la calcination vulgaire, telle quon la réalise dans les laboratoires chimiques, et celle que lInitié opère dans le cabinet des philosophes. Celle-ci ne se fait par aucun feu vulgaire, ne nécessite point le secours du réverbère, mais demande laide dun agent occulte, dun feu secret, lequel, pour donner un aperçu de sa forme, ressemble plus à une eau quà une flamme. Ce feu, ou cette eau ardente, est létincelle vitale communiquée par le Créateur à la matière inerte; cest lesprit enclos dans les choses, le rayon igné, impérissable, enfermé au fond de lobscure substance, informe et frigide. Nous touchons ici au plus haut secret de luvre ; et nous serions heureux de trancher ce noeud gordien en faveur des aspirants à notre Science, nous souvenant, hélas ! que nous fûmes arrêté nous-même par cette difficulté pendant plus de vingt ans, sil nous était permis de profaner un mystère dont la révélation dépend du Père des Lumières. A notre grand regret, nous ne pouvons faire plus que signaler lécueil et conseiller, avec les plus éminents philosophes, la lecture attentive dArtephius, de Pontanuset du petit ouvrage intitulé : Epistola de Igne Philosophorum. On y trouvera de précieuses indications sur la nature et les caractéristiques de ce feu aqueux ou de cette eau ignée, enseignements que lon pourra compléter par les deux textes suivants.
Lauteur anonyme des Préceptes du Père Abraham dit : " Il faut tirer cette eau primitive et céleste du corps où elle est, et qui sexprime par sept lettres selon nous, signifiant la semence première de tous les êtres, et non spécifiée ni déterminée dans la maison dAriès pour engendrer son fils. Cest à cette eau que les Philosophes ont donné tant de noms, et cest le dissolvant universel, la vie et la santé de toute chose. Les Philosophes disent que cest dans cette eau que le soleil et la lune se baignent, et quils se résolvent eux-mêmes en eau, leur première origine. Cest par cette résolution quil est dit quils meurent, mais leurs esprits sont portés sur les eaux de cette mère où ils estoient ensevelis... Quoy quon dise, mon fils, quil y a dautres manières de résoudre les corps en leur première matière, tiens-toi à celle que je te déclare, parce que je lay connuë par l expérience et selon que nos Anciens nous lont transmis. "
Limojon de Saint-Didier écrit de même : " ...Le feu secret des Sages est un feu que lartiste prépare selon lArt, ou du moins quil peut faire préparer par ceux qui ont une parfaite connoissance de la chimie. Ce feu nest pas actuellement chaud, mais il est un esprit igné introduit dans un sujet dune même nature que la Pierre; et, étant médiocrement excité par le feu extérieur, la calcine, la dissout, la sublime et la résout en eau seiche, ainsi que le dit le Cosmopolite. "
Dailleurs, nous découvrirons bientôt dautres figures se rapportant soit à la fabrication, soit aux qualités de ce feu secret enclos dans une eau, qui constitue le dissolvant universel. Or, la matière qui sert à le préparer fait précisément lobjet du quatrième motif : un homme expose limage du Bélier et tient, dans la dextre, un objet quil est malheureusement impossible de déterminer aujourdhui (pl. IX). Est-ce un minéral, un fragment dattribut, un ustensile ou encore quelque morceau détoffe ? Nous ne savons. Le temps et le vandalisme ont passé par là. Toutefois, le Bélier demeure, et lhomme, hiéroglyphe du principe métallique mâle, en présente la figure. Cela nous aide à comprendre les paroles de Pernety : " Les Adeptes disent quils tirent leur acier du ventre dAriès, et ils appellent aussi cet acier leur aimant. "
LEvolution succède et montre loriflamme aux trois pennons, triplicité des Couleurs de luvre, que lon trouve décrites dans tous les ouvrages classiques (pl.X).
Ces couleurs, au nombre de trois, se développent selon lordre invariable qui va du noir au rouge en passant par le blanc. Mais, comme la nature, daprès le vieil adage, Natura non facit saltus, ne fait rien brutalement, il y en a beaucoup dautres intermédiaires qui apparaissent entre ces trois principales. Lartiste en tient peu de cas parce quelles sont superficielles et passagères. Elles napportent quun témoignage de continuité et de progression des mutations internes. Quant aux couleurs essentielles, elles durent plus longtemps que ces nuances transitoires et affectent profondément la matière même, en marquant un changement détat dans sa constitution chimique. Ce ne sont point là des teintes fugitives, plus ou moins brillantes, qui jouent à la surface du bain, mais bien des colorations dans la masse qui se traduisent au dehors et résorbent toutes les autres. Il était bon, croyons-nous, de préciser ce point important.
Ces phases colorées, spécifiques de la coction dans la pratique du Grand Oeuvre, ont toujours servi de prototype symbolique; on attribua à chacune delles une signification précise, et souvent assez étendue, pour exprimer sous leur voile certaines vérités concrètes. Cest ainsi quil exista, de tous temps, une langue des couleurs, intimement unie à la religion, ainsi que le dit Portal, et qui reparaît, au moyen-âge, dans les vitraux des cathédrales gothiques.
La couleur noire fut donnée à Saturne qui devint, en spagyrie, lhiéroglyphe du plomb, en astrologie une planète maléfique, en magie la Poule noire, etc. Dans les temples dEgypte, lorsque le récipiendaire était sur le point de passer les épreuves initiatiques, un prêtre sapprochait de lui et lui glissait à loreille cette phrase mystérieuse : " Souviens quOsiris est un dieu noir ! " Cest la couleur symbolique des Ténèbres et des Ombres cimmériennes, celle de Satan, à qui lon offrait des roses noires, et aussi celle du Chaos primitif, où les semences de toutes choses sont confuses et mélangées; cest le sable de la science héraldique et lemblème de lélément terre, de la nuit et de la mort.
De même que le jour, dans la Genèse, succède à la nuit, la lumière succède à lobscurité. Elle a pour signature la couleur blanche. Parvenue à ce degré, les Sages assurent que leur matière est dégagée de toute impureté, parfaitement lavée et très exactement purifiée. Elle se présente alors sous laspect de granulations solides ou de corpuscules brillants, à reflets adamantins et dune blancheur éclatante. Aussi, a-t-on appliqué le blanc à la pureté, à la simplicité, à linnocence. La couleur blanche est celle des Initiés, parce que lhomme qui abandonne les ténèbres pour suivre la lumière passe de létat profane à celui dInitié, de pur. Il est, spirituellement, rénové. " Ce terme de Blanc, dit Pierre Dujols, avait été choisi pour des raisons philosophiques très profondes. La couleur blanche, la plupart des langues lattestent, a toujours désigné la noblesse, la candeur, la pureté. Suivant le célèbre Dictionnaire-Manuel hébreu et chaldéen de Genesius, hur, heur, signifie être blanc; hurim, heurim, désigne les nobles, les blancs, les purs. Cette transcription de lhébreu plus ou moins variable (hur, heur, hurim, heurim) nous conduit au mot heureux. Les bienheureux, ceux qui ont été régénérés et lavés par le sang de lAgneau, sont toujours représentés avec des robes blanches. Nul nignore que bienheureux est encore léquivalent, le synonyme dInitié, de noble, de pur. Or, les Initiés étaient en blanc. Les nobles shabillaient de même. En Egypte, les Mânes étaient aussi vêtus de blanc. Phtah, le Régénérateur, était de même gainé de blanc, pour indiquer la nouvelle naissance des Purs ou des Blancs. Les Cathares, secte à laquelle appartenaient les Blancs de Florence, étaient les Purs ( du grec KaqaroV ). En latin, en allemand, en anglais, les mots Weiss, White, veulent dire blanc, heureux, spirituel, sage. Par contre, en hébreu, schher caractérise une couleur noire de transition, cest-à-dire le profane cherchant linitiation. LOsiris noir, qui paraît au commencement du Rituel funéraire, dit Portal, représente cet état de lâme qui passe de la nuit au jour, de la mort à la vie. "
Quant au rouge, symbole du feu, il marque lexaltation, la prédominance de lesprit sur la matière, la souveraineté, la puissance et lapostolat. Obtenue sous forme de cristal ou poudre rouge, volatile et fusible, la pierre philosophale devient pénétrante et idoine à guérir les lépreux, cest-à-dire à transmuer en or les métaux vulgaires que leur oxydabilité rend inférieurs, imparfaits, " malades ou infirmes ".
Paracelse, au Livre des Images, parle ainsi des colorations successives de luvre : " Quoiquil y ait, dit-il, quelques couleurs élémentaires, car la couleur azurée appartient plus particulièrement à la terre, la verte à leau, la jaune à lair, la rouge au feu, cependant, les couleurs blanche et noire se rapportent directement à lart spagyrique, dans lequel on trouve aussi les quatre couleurs primitives, sçavoir le noir, le blanc, le jaune et le rouge. Or, le noir est la racine et lorigine des autres couleurs; car toute matière noire peut être réverbérée par le tems qui lui est nécessaire, de manière que les trois autres couleurs paroîtront successivement et chacune à son tour. La couleur blanche succède à la noire, la jaune à la blanche et la rouge à la jaune. Or, toute matière parvenue à la quatrième couleur au moyen de la réverbération est la teinture des choses de son genre, cest-à-dire de sa nature. "
Pour donner quelque idée de lextension que prit la symbolique des couleurs, et spécialement des trois majeures de luvre, notons que la Vierge est toujours représentée drapée de bleu (correspondant au noir, ainsi que nous le dirons par la suite), Dieu de blanc et le Christ de rouge. Ce sont là les couleurs nationales du drapeau français, lequel, dailleurs fut composé par le maçon écribouille Louis David. Dans celui-ci, le bleu foncé ou le noir représente la bourgeoisie; le blanc est réservé au peuple, aux pierrots ou paysans, et le rouge à la baillie ou royauté. En Chaldée, les Ziguras, qui furent ordinairement des tours à trois étages, et à laquelle appartenait la fameuse Tour de Babel, sont revêtues de trois couleurs : noire, blanche et rouge-pourpre.
Nous avons jusquici parlé des couleurs en théoricien, et, comme les Maîtres lont fait avant nous, afin dobéir à la doctrine philosophique et à lexpression traditionnelle. Peut-être conviendrait-il maintenant décrire, en faveur des Fils de Science, plutôt en praticien quen spéculatif, et de découvrir ainsi ce qui différencie la similitude de la réalité.
Peu de Philosophes ont osé saventurer sur ce terrain glissant. Etteilla, en nous signalant un tableau hermétiquequil aurait eu en sa possession, nous a conservé quelques légendes placées au dessous; parmi celles-ci, on lit, non sans surprise, ce conseil digne dêtre suivi : Ne vous en rapportez point trop à la couleur. Quest-ce à dire ? Les vieux auteurs, de propos délibéré, auraient-ils trompé leurs lecteurs? Et quelle indication les disciples dHermès devraient-ils substituer aux couleurs défaillantes pour reconnaître et suivre la voie droite ?
Cherchez, frères, sans vous rebuter, car ici comme en dautres points obscurs il vous faut faire un gros effort. Vous nêtes pas sans avoir lu, en plusieurs endroits de vos ouvrages, que les Philosophes ne parlent clairement que lorsquils veulent écarter les profanes de leur Table ronde. Les descriptions quils donnent de leurs régimes, auxquels ils attribuent des colorations emblématiques, sont dune limpidité parfaite. Or, vous en devez conclure que ces observations si bien décrites sont fausses et chimériques. Vos livres sont fermés, comme celui de lApocalypse, par des sceaux cabalistiques. Il vous faut les briser un à un. La tâche est rude, nous le reconnaissons, mais à vaincre sans péril on triomphe sans gloire.
Apprenez donc, non en quoi une couleur diffère dune autre, mais plutôt en quoi un régime se distingue du suivant. Et dabord, quest-ce quun régime? Tout simplement la manière de faire végéter, dentretenir et daccroître la vie que votre pierre a reçue dès sa naissance. Cest donc un modus operandi, lequel ne se traduit pas, forcément, par une succession de couleurs diverses. " Celui qui connoîtra le Régime, écrit Philalèthe, sera honoré des princes et des grands de la terre. " Or, pour ne point attirer sur notre tête la malédiction des Philosophes, en révélant ce quils ont cru devoir laisser dans lombre, nous nous contenterons davertir que le Régime de la pierre, cest-à-dire sa coction, en contient plusieurs autres, entendez plusieurs répétitions dune même manière dopérer. Réfléchissez, ayez recours à lanalogie et, surtout, ne vous écartez jamais de la simplicité naturelle. Pensez quil vous faut manger tous les jours, afin dentretenir votre vitalité; que le repos vous est indispensable parce quil favorise, dune part, la digestion et lassimilation de laliment, et dautre part, le renouvellement des cellules usées par le labeur quotidien. Bien plus, ne devez-vous pas expulser fréquemment certains produits hétérogènes, déchets ou résidus non assimilables ?
De même, votre pierre a besoin de nourriture pour augmenter sa puissance, et cette nourriture doit être graduée, voire changée à certain moment. Donnez dabord du lait; le régime carné, plus substantiel, viendra ensuite. Et nomettez pas, après chaque digestion, de séparer les excréments, car votre pierre pourrait en être infectée... Suivez donc la nature et lui obéissez le plus fidèlement quil vous sera possible. Et vous comprendrez de quelle façon il convient deffectuer la coction lorsque vous aurez acquis la parfaite connaissance du Régime. Ainsi, vous saisirez mieux lapostrophe que Tolliusadresse aux souffleurs, esclaves de la lettre : " Allez, et vous retirez présentement, vous qui cherchez avec une application extrême vos diverses couleurs dans vos vaisseaux de verre. Vous qui me fatiguez les oreilles avec votre noir corbeau, vous êtes aussi fous que cet homme de lantiquité qui avoit coutume dapplaudir au théâtre, quoyquil y fust seul, parce quil simaginoit toujours avoir devant les yeux quelque spectacle nouveau. De mesme en faites vous, lorsque, versant des larmes de joye, vous vous imaginez voir dans vos vaisseaux votre blanche colombe, votre aigle jaune et votre faysan rouge ! Allez, vous dis-je, et vous retirez loin de moy, si vous cherchez la pierre philosophale dans une chose fixe ; car elle ne pénétrera pas plus les corps métalliques que feroit le corps dun homme des murailles les plus solides...
"Voilà ce que javois à vous dire des couleurs afin quà lavenir vous quittiez vos travaux inutiles ; à quoi jajouteray un mot touchant lodeur.
"La Terre est noire, lEau est blanche ; lair, plus il approche du Soleil, et plus il jaunit ; laëther est tout à fait rouge. La mort de même, comme il est dit, est noire, la vie est pleine de lumière ; plus la lumière est pure, plus elle approche de la nature angélique, et la anges sont de purs esprits de feu. Maintenant, lodeur dun mort ou dun cadavre nest-elle pas fâcheuse et désagréable à lodorat ? Ainsi, lodeur puante, chez les Philosophes, dénote la fixation ; au contraire, lodeur agréable marque la volatilité, parce quelle approche de la vie et de la chaleur. "
Revenant au soubassement de Notre-Dame, nous trouverons, en sixième lieu, la Philosophie, dont le disque porte lempreinte dune croix. Cest là lexpression du quaternaire des éléments et le manifeste des deux principes métalliques, soleil et lune, - celle-ci, martelée, - ou soufre et mercure, parents de la pierre, selon Hermès (pl. XI).
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IV Les motifs ornant le côté droit sont de lecture plus ingrate; noircis et rongés, ils doivent surtout leur détérioration à lorientation de cette partie du porche. Balayés par les vents douest, sept siècles de rafales les ont effrités jusquau point de réduire certains dentre eux à létat de silhouettes mousses et floues.
Sur le septième bas-relief de cette série, le premier à droite, nous remarquerons une coupe longitudinale de lAthanor et lappareillage interne destiné à supporter loeuf philosophique; de la main droite, le personnage tient une pierre (pl. XII).
Cest un griffon que lon voit inscrit dans le cercle suivant. Le monstre mythologique dont la tête et la poitrine sont celles de laigle, et qui emprunte au lion le reste du corps, initie linvestigateur aux qualités contraires quil faut nécessairement assembler dans la matière philosophale (pl. XIII). Nous trouvons en cette image lhiéroglyphe de la première conjonction, laquelle ne sopère que peu à peu, au fur et à mesure de ce labeur pénible et fastidieux que les Philosophes ont appelé leurs aigles. La série dopérations dont lensemble aboutit à lunion intime du soufre et du mercure porte aussi le nom de Sublimation. Cest par la réitération des Aigles ou Sublimation philosophique que le mercure exalté se dépouille de ses parties grossières et terrestres, de son humidité superflue, et sempare dune portion du corps fixe, quil dissout, absorbe et assimile. Faire voler laigle, selon lexpression hermétique, cest faire sortir la lumière du tombeau et la porter à la surface, ce qui est le propre de toute véritable sublimation. Cest ce que nous enseigne la fable de Thésée et dAriane. Dans ce cas, Thésée est qeseioV , la lumière organisée, manifestée, qui se sépare dAriane, laraignée qui est au centre de sa toile, le caillou, la coque vide , le cocon, la dépouille du papillon (Psyché). " Sachez, mon frère, écrit Philalèthe, que lexacte préparation des Aigles volantes est le premier degré de la perfection, et pour la connaître il faut un génie industrieux et habile.. Pour y parvenir, nous avons beaucoup sué et travaillé; nous avons même passé des nuits sans dormir. Ainsi, vous qui ne faites que commencer, soyez persuadé que vous ne réussirez pas dans la première opération sans un grand travail...
" Comprenez donc, mon frère, ce que disent les Sages, en marquant quils conduisent leurs aigles pour dévorer le lion; et moins on emploi daigles, plus le combat est rude et plus on trouve de difficulté à remporter la victoire. Mais pour perfectionner notre uvre, il nous faut pas moins de sept aigles, et lon devrait même en employer jusquà neuf. Et notre Mercure philosophique est loiseau dHermès, à qui lon donne aussi le nom dOie ou de Cygne, et quelquefois celui de Faysan. "
Ce sont ces sublimations que décrit Callimaque, dans lHymne à Délos (v. 250, 255), lorsquil dit, en parlant des cygnes :
... ecuclwsantoliponteV
Ebdo maciVperi Dhlon ...
Ogdo o nou cetaeis an , o d ecqoren .
"(Les Cygnes) tournèrent sept fois autour de Délos... et ils navaient pas encore chanté la huitième fois, lorsquApollon naquit. "
Cest une variante de la procession que Josué fit faire sept fois autour de Jéricho, dont les murs tombèrent avant le huitième tour (Josué, c. VI, 16).
Afin de marquer la violence du combat qui précède notre conjonction, les Sages ont symbolisé les deux natures par lAigle et le Lion, de puissance égale, mais de complexion contraire. Le lion traduit la force terrestre et fixe, tendis que laigle exprime la force aérienne et volatile. Mis en présence, les deux champions sattaquent, se repoussent, sentre-déchirent avec énergie jusquà ce quenfin laigle ayant perdu ses ailes, et le lion son chef, les antagonistes ne fassent plus quun même corps, de qualité moyenne et de substance homogène, le Mercure animé.
Au temps déjà lointain où, étudiant de la sublime Science, nous nous penchions sur le mystère tout rempli de lourdes énigmes, il nous souvient davoir vu construire un bel immeuble dont la décoration, reflétant nos préoccupations hermétiques, ne laissa pas de nous surprendre. Au dessus de la porte dentrée, deux jeunes enfants, garçon et fille, enlacés, écartent et soulèvent un voile qui les recouvrait. Leurs bustes émergent dun amoncellement de fleurs, de feuilles et de fruits. Sur le couronnement dangle, un bas-relief domine; il offre le combat symbolique de laigle et du lion, dont nous venons de parler, et lon devine aisément que larchitecte eut quelque peine à loger lemblème encombrant, imposé par une volonté intransigeante et supérieure...
Le neuvième sujet nous permet de pénétrer davantage le secret de fabrication du Dissolvant universel. Une femme y désigne, allégoriquement, les matériaux nécessaires à la construction du vaisseau hermétique; elle élève une planchette de bois, ayant quelque apparence dune douve de tonneau, dont lessence nous est révélée par la branche de chêne que porte lécusson. Nous retrouvons ici la source mystérieuse, sculptée sur le contrefort du porche, mais le geste de notre personnage trahit la spiritualité de cette substance, de ce feu de nature sans lequel rien ne peut croître ni végéter ici-bas (pl. XIV). Cest cet esprit, répandu à la surface du globe, que lartiste subtil et ingénieux doit capter au fur et à mesure de sa matérialisation. Nous ajouterons encore quil est besoin dun corps particulier servant de réceptacle, dune terre attractive où il puisse trouver un principe susceptible de le recevoir et de le " corporifier ". " La racine de nos corps est en lair, disent les Sages, et leurs chefs en terre. " Cest là cet aimant enfermé au ventre dAriès, quil faut prendre au moment de sa naissance, avec autant dadresse que dhabileté.
" Leau dont nous nous servons, écrit lauteur anonyme de la Clef du Cabinet Hermétique, est une eau qui renferme toutes les vertus du ciel et de la terre; cest pourquoi elle est le Dissolvant général de toute la Nature; cest elle qui ouvre les portes de notre cabinet hermétique et royal; en elle sont renfermés notre Roy et notre Reine, aussi est-elle leur bain... Cest la Fontaine de Trévisan où le Roy se dépouille de son manteau de pourpre pour se vestir dun habit noir... Il est vray que cette eau est difficile à avoir; cest ce qui fait dire au Cosmopolite, dans son Enigme, quelle étoit rare dans lisle... Cet auteur nous la marque plus particulièrement par ces paroles : elle nest pas semblable à leau de la nüe, mais elle en a lapparence. En un autre endroit, il nous la décrit sous le nom dacier et daimant, car cest véritablement un aimant qui attire à lui toutes les influences du ciel, du soleil, de la lune et des astres, pour les communiquer à la terre. Il dit que cet acier se trouve dans Ariès, qui marque encore le commencement du Printems, lorsque le soleil parcourt le signe du Bélier... Flamel nous en fait une peinture assez juste, dans les Figures dAbraham le Juif; il nous dépeint un vieux chesne creux, doù sort une fontaine, et de la même eau un jardinier arrose les plantes et les fleurs dun parterre. Le vieux chesne, qui est creux, marque le tonneau qui est fait du bois de chesne, dans lequel il faut corrompre leau quil réserve pour arroser les plantes, et qui est bien meilleure que leau crue... Or, cest ici le lieu de découvrir un des grands secrets de cet Art, que les Philosophes ont caché, sans lequel vaisseau vous ne pourrez pas faire cette putréfaction et purification de nos élémens, de même quon ne sçauroit faire le vin sans quil ait bouilli dans le tonneau. Or, comme le tonneau est fait de bois de chesne, de même le vaisseau doit être en bois de vieux chesne, tourné en rond en dedans, comme un demi- globe, dont les bords soient fort épais en quarré; à faute de ce, un baril, un autre pareil pour le couvrir. Presque tous les Philosophes ont parlé de ce vaisseau absolument nécessaire pour cette opération. Philalèthe le décrit par la fable du serpent Python, que Cadmus perça doutre en outre contre un chesne. Il y a une figure dans le Livre des Douze Clefsqui représente cette même opération et le vaisseau où elle se fait, doù il sort une grande fumée, qui marque la fermentation et lébullition de cette eau; et cette fumée se termine à une fenestre, où lon voit le ciel, où sont dépeints le soleil et la lune, qui marquent lorigine de cette eau et les vertus quelle contient. Cest notre vinaigre mercuriel qui descend du ciel en terre et monte de la terre au ciel. "
Nous avons donné ce texte parce quil peut être utile, à condition toutefois quon sache le lire avec prudence et le comprendre avec sagesse. Cest ici le cas de répéter encore la maxime chère aux Adeptes : lesprit vivifie, mais la lettre tue.
Nous voici maintenant en face dun symbole fort complexe, celui du Lion. Complexe, parce que nos ne pouvons, devant la nudité actuelle de la pierre, nous contenter dune seule explication. Les Sages ont adjoint au lion divers qualificatifs, soit afin d exprimer laspect des substances quils travaillaient, soit pour en désigner une qualité spéciale et prépondérante. Dans lemblème du Griffon (huitième motif), nous avons vu que le Lion, roi des animaux terrestres, représentait la partie fixe, basique dun composé, fixité qui perdait, au contact de la volatilité adverse, la meilleure partie delle même, celle qui en caractérisait la forme, cest-à-dire, en langage hiéroglyphique, la tête. Cette fois, nous devons étudier lanimal seul, et nous ignorons de quelle couleur il était originairement revêtu. En général, le Lion est le signe de lor, tant alchimique que naturel; il traduit donc les propriétés physico-chimiques de ces corps. Mais les textes donnent le même nom à la matière réceptive de lEsprit universel, du feu secret dans lélaboration du dissolvant. Dans ces deux cas, il sagit toujours dune interprétation de puissance, dincorruptibilité, de perfection, comme lindique assez, dailleurs, le preux à lépée haute, le chevalier couvert du haubert de mailles, qui représente le roi du bestiaire alchimique (pl. XV).
Le premier agent magnétique servant à préparer le dissolvant, que certains ont dénommé Alkaest, est appelé Lion vert, non pas tant parce quil possède une coloration verte, que parce quil na point acquis les caractères minéraux qui distinguent chimiquement létat adulte de létat naissant. Cest un fruit vert et acerbe, comparé au fruit rouge et mûr. Cest la jeunesse métallique, sur laquelle lEvolution na pas ouvré, mais qui contient le germe latent dune énergie réelle, appelée plus tard à se développer. Cest larsenic et le plomb à légard le largent et de lor. Cest limperfection actuelle doù sortira la plus grande perfection future; le rudiment de notre embryon, lembryon de notre pierre, la pierre de notre Elixir. Certains Adeptes, Basile Valentin est de ceux-là, lont nommé Vitriol vert, pour déceler sa nature chaude, ardente et saline; dautres, Emeraude des Philosophes, Rosée de mai, Herbe saturnienne, Pierre végétale, etc. " Nostre eau prend les noms des feuilles de tous les arbres, des arbres mesmes, et de tout ce qui prend une couleur verte, afin de tromper les insensés ", dit Maître Arnaud de Villeneuve.
Quant au Lion rouge, ce nest autre chose, selon les Philosophes, que la même matière, ou Lion vert, amené par certains procédés à cette qualité spéciale qui caractérise lor hermétique ou Lion rouge. Cest ce qui a engagé Basile Valentin à donner ce conseil : " Dissous et nourris le vray Lion du sang du Lion vert, parquoy ils sont tous deux de même nature. "
De ces interprétations, quelle est la véritable ? C est là une question que nous avouons ne pouvoir résoudre. Le lion symbolique était, sans aucun doute, peint ou doré. Quelque trace de cinabre, de malachite ou de métal viendrait aussitôt nous tirer dembarras. Mais il ne subsiste rien, rien que le calcaire rongé, grisâtre et frustre. Le lion de pierre conserve son secret ! Lextraction du Soufre rouge et incombustible est manifestée par la figure dun monstre tenant à la fois du coq et du renard. Cest le même symbole dont se servit Basile Valentin dans la troisième de ses Douze Clefs. " Cest ce superbe manteau avec le Sel des Astres, dit lAdepte, qui suit ce soulfre céleste, gardé soigneusement de peur quil ne se gaste, et les faict voller comme un oyseau, tant quil sera besoin, et le coq mangera le renard, et se noyera et estouffera dans leau, puis, reprenant vie par le feu, sera (afin de jouer chacun leur tour) dévoré par le renard " (pl. XVI).
Au renard-coq succède le Taureau (pl. XVII).
Envisagé comme signe zodiacal, cest le second mois des opérations préparatoires dans le premier uvre, et le premier régime du feu élémentaire dans le second. Comme figure de pratique, le taureau et le boeuf étant consacrés au soleil, de même que la vache lest à la lune, il figure le Soufre, principe mâle, puisque le soleil est dit métaphoriquement, par Hermès, le Père de la pierre. Le taureau et la vache, le soleil et la lune, le soufre et le mercure sont donc les hiéroglyphes de sens identique et désignent les natures primitives contraires, avant leur conjonction, natures que lArt extrait de mixtes imparfaits.
VDes douze médaillons ornant le rang inférieur du soubassement, dix retiendront notre attention; deux sujets ont, en effet, souffert de mutilations trop profondes pour quil soit possible den rétablir le sens. Nous passerons donc, à regret, devant les restes informes du cinquième médaillon (côté gauche) et du onzième (côté droit).
Auprès du contrefort qui sépare le porche central du portail nord, le premier motif nous présente un cavalier désarçonné se cramponnant à la crinière dun cheval fougueux (pl. XVIII). Cette allégorie a trait à lextraction des parties fixes, centrales et pures, par les volatiles ou éthérées dans la Dissolution philosophique. Cest proprement la rectification de lesprit obtenu et la cohobation de cet esprit sur la matière grave. Le coursier, symbole de rapidité et de légèreté, marque la substance spirituelle; son cavalier indique la pondérabilité du corps métallique grossier. A chaque cohobation, le cheval jette bas son cavalier, le volatil quitte le fixe; mais lécuyer reprend aussitôt ses droits, et cela tant que lanimal exténué, vaincu et soumis, consente à porter ce fardeau obstiné et ne puisse plus sen dégager. Labsorption du fixe par le volatil seffectue lentement et avec peine. Pour y réussir, il faut employer beaucoup de patience et de persévérance et réitérer souvent laffusion de leau sur la terre, de lesprit sur le corps. Et cest seulement par cette technique, longue et fastidieuse, en vérité, que lon parvient à extraire le sel occulte du Lion rouge avec le secours de lesprit du Lion vert. Le coursier de Notre-Dame est le même que le Pégase ailé de la fable (racine phgh , source). Comme lui, il jette ses cavaliers à terre, quils sappellent Persée ou Belléphoron. Cest lui encore qui transporte Persée, au travers des airs, chez les Hespérides, et fait jaillir, dun coup de pied, la fontaine Hippocrène, sur le mont Hélicon, laquelle fut, dit-on, découverte par Cadmos.
Au second médaillon, lInitiateur nous présente dune main un miroir, tandis que de lautre il élève la corne dAmalthée; à ses côtés se voit lArbre de Vie (pl. XIX). Le miroir symbolise le début de louvrage, larbre de vie en marque la fin, et la corne dabondance le résultat.
Alchimiquement, la matière première, celle que lartiste doit élire pour commencer luvre, est dénommée Miroir de lArt. " Communément entre les Philosophes, dit Moras de Respour, elle est entendue par le Miroir de lArt, parce que c est principalement par elle que lon a appris la composition des métaux dans les veines de la terre... Aussi est-il dit que la seule indication de nature nous peut instruire. " Cest également ce quenseigne le Cosmopolite, lorsque, parlant du Soufre, il dit : " En son royaume, il y a un miroir dans lequel on voit tout le monde. Quiconque regarde en ce miroir peut voir et apprendre les trois parties de la Sapience de tout le monde, et, de cette manière, il deviendra très sçavant en ces trois règnes, comme ont été Aristote, Avicenne et plusieurs autres, lesquels, aussi bien que leurs prédécesseurs, ont veu dans ce miroir comment le monde a été créé. " Basile Valentin, dans son Testamentum, écrit de même : " Le corps entier du Vitriol ne doit être reconnu que pour un Miroir de la Science philosophique... Cest un Miroir où lon voit briller et paraître notre Mercure, notre Soleil et Lune, par où lon peut montrer en un instant, et prouver à lincrédule Thomas laveuglement de son ignorance crasse. " Pernety, dans son Dictionnaire Mytho-Hermétique, na point cité ce terme, soit quil ne lait pas connu, soit quil lait volontairement omis. Ce sujet, si vulgaire et méprisé, devient par la suite lArbre de Vie, Elixir ou Pierre philosophale, chef-doeuvre de la nature aidée par lindustrie humaine, le pur et riche joyau alchimique. Synthèse métallique absolue, elle assure à lheureux possesseur de ce trésor le triple apanage du savoir, de la fortune et de la santé. Cest la corne dabondance, source intarissable des félicités matérielles de notre monde terrestre. Rappelons enfin que le miroir est lattribut de la Vérité, de la Prudence et de la Science chez tous les poètes et mythologues grecs.
Voici maintenant lallégorie du poids de nature : lalchimiste retire le voile qui enveloppait la balance (pl. XX).
Tous les Philosophes nont guère été prolixes sur les secrets des poids. Basile Valentin sest contenté de dire quil fallait " bailler un cygne blanc à lhomme double igné ", ce qui correspondrait au Sigillum Sapientum dHuginus à Barma, où lartiste tient une balance dont un plateau entraîne lautre selon le rapport apparent dun à deux. Le Cosmopolite, dans son Traité du Sel, est moins précis encore : " Le poids de leau, dit-il, doit estre pluriel, et celui de la terre feuillée blanche ou rouge doit estre singulier. " Lauteur des Aphorismes Basiliens, ou Canons Hermétiques de lEsprit et de lAme, écrit au canon XVI : " nous commençons notre oeuvre hermétique par la conjonction des trois principes préparés sous une certaine proportion, laquelle consiste au poids du corps, qui doit égaler lesprit et lâme presque de sa moitié. " Si Raymond Lulle et Philalèthe en ont parlé, beaucoup ont préféré se taire; certains ont prétendu que la nature seule répartissait les quantités selon une harmonie mystérieuse que lArt ignorait. Ces contradictions ne résistent guère à lexamen. En effet, nous savons que le mercure philosophique résulte de labsorption dune certaine partie de soufre par une quantité déterminée de mercure; il est donc indispensable de connaître exactement les proportions réciproques des composants, si lon opère par lancienne voie. Nous navons pas besoin dajouter que ces proportions sont enveloppées de similitudes et couvertes dobscurité, même chez les auteurs les plus sincères. Mais on doit remarquer, dautre part, quil est possible de substituer lor vulgaire au soufre métallique; dans ce cas, lexcès de dissolvant pouvant toujours être séparé par distillation, le poids se trouve ramené à une simple appréciation de consistance. La balance, on le voit, constitue un indice précieux pour la détermination de la voie ancienne, de laquelle lor paraît devoir être exclu. Nous entendons parler de lor vulgaire qui na souffert ni lexaltation ni la transfusion, opérations qui, en modifiant ses propriétés et ses caractères physiques, le rendent propre au travail.
Une dissolution particulière et peu employée nos est exprimée par lun des cartouches que nous étudions. Cest celle du vif-argent vulgaire, afin den obtenir le mercure commun des Philosophes, que ceux-ci appellent " notre " mercure, pour le différencier du métal fluide dont il provient. Quoique lon puisse rencontrer fréquemment des descriptions assez étendues sur ce sujet, nous ne cacherons pas quune telle opération nous paraît hasardeuse, sinon sophistique. Dans lesprit des auteurs qui en ont parlé, le mercure vulgaire, débarrassé de toute impureté et parfaitement exalté, prendrait une qualité ignée quil ne possède pas, et serait capable de devenir dissolvant à son tour. Une reine, assise sur un trône, renverse dun coup de pied le valet qui, une coupe à la main, vient lui offrir ses services (pl. XXI). On ne doit donc voir en cette technique, à supposer quelle puisse fournir le dissolvant attendu, quune modification de la voie ancienne, et non une pratique spéciale, puisque lagent reste toujours le même. Or, nous ne voyons pas quel avantage on pourrait retirer dune solution de mercure obtenue à laide du solvant philosophique, celui-ci étant lagent majeur et secret par excellence. Cest pourtant ce que prétend Sabine Stuart de Chevalier. " Pour avoir le mercure philosophique, écrit cet auteur, il faut dissoudre le mercure vulgaire sans rien diminuer de son poids, car toute sa substance doit être convertie en eau philosophique. Les Philosophes connaissent un feu naturel qui pénètre jusquau coeur du mercure et qui léteint intérieurement; ils connaissent aussi un dissolvant qui le convertit en eau argentine pure et naturelle; elle ne contient ni ne doit contenir aucun corrosif. Aussitôt que le mercure est délivré de ses liens, et quil est vaincu par la chaleur, il prend la forme de leau, et cette même eau est la chose la plus précieuse qui soit au monde. Il faut bien peu de temps pour faire prendre cette forme au mercure vulgaire. " On nous pardonnera de ne pas être du même avis, ayant de bonnes raisons, appuyées sur lexpérience, de croire que le mercure vulgaire, dépourvu dagent propre, pourrait devenir une eau utile à luvre. Le fugitivus dont nous avons besoin est une eau minérale et métallique, solide, cassante, ayant laspect dune pierre et de liquéfaction très aisée. Cest cette eau coagulée sous forme de masse pierreuse qui est lAlkaest et le Dissolvant universel. Sil convient de lire les Philosophes, selon le conseil de Philalèthe, avec un grain de sel, il conviendrait dutiliser la salière entière à létude de Stuart de Chevalier.
Un vieillard transi de froid, et courbé sous larc du médaillon suivant, sappuie, las et défaillant, sur un bloc de pierre; une sorte de manchon enveloppe sa main gauche (pl. XXII).
Il est facile de reconnaître ici la première phase du second uvre, alors que le Rebis hermétique, enfermé au centre de lAthanor, soufre la dislocation de ses parties et tend à se mortifier. Cest le début, actif et doux, du feu de roue symbolisé par le froid et par lhiver, période embryonnaire où les semences, encloses au sein de la terre philosophale, subissent linfluence fermentative de lhumidité. Cest le règne de Saturne qui va paraître, emblème de la dissolution radicale, de la décomposition et de la couleur noire. " Je suis vieil, débile et malade, lui fait dire Basile Valentin; pour cette cause, je suis enfermé dans une fausse... Le feu me tourmente grandement, et la mort rompt ma chair et mes os. " Un certain Démétrius, voyageur cité par Plutarque, les Grecs ont tout dépassé, même dans la gasconnade, raconte sérieusement que, dans lune des îles quil visita sur la côte dAngleterre, Saturne sy trouve emprisonné et enseveli dans un profond sommeil. Le géant Briarée (Egéon) est le geôlier de sa prison. Et voici comment, à laide de fables hermétiques, de célèbres auteurs ont écrit lHistoire !
Le sixième médaillon nest quune répétition fragmentaire du second. LAdepte sy retrouve, mains jointes, dans lattitude de la prière, et semble adresser des actions de grâces à la Nature, figurée sous les traits dun buste féminin que reflète un miroir. Nous reconnaissons là lhiéroglyphe du sujet des Sages, miroir dans lequel " on voit toute la nature à découvert " (pl. XXIII).
A droite du porche, le septième médaillon nous montre un vieillard prêt à franchir le seuil du Palais mystérieux. Il vient darracher le vélum qui en dérobait lentrée aux regards profanes. Cest le premier pas accompli dans la pratique, la découverte de lagent capable dopérer la réduction du corps fixe, de le réincruder, selon lexpression reçue, en une forme analogue à celle de sa prime substance (pl. XXIV). Les alchimistes font allusion à cette opération lorsquils parlent de réanimer les corporifications, cest-à-dire rendre vivants les métaux morts. Cest lEntrée au Palais fermé du Roy, de Philalèthe, la première porte de Ripley et de Basile Valentin, quil faut savoir ouvrir. Le vieillard nest autre que notre Mercure, agent secret dont plusieurs bas-reliefs nous ont révélé la nature, le mode daction, les matériaux et le temps de préparation. Quant au Palais, il représente lor vif, ou philosophique, or vil, méprisé de lignorant, et caché sous des haillons qui le dérobent aux yeux, bien quil soit fort précieux à celui qui en connaît la valeur. Nous devons voir en ce motif une variante de lallégorie des Lions vert et rouge, du dissolvant et du corps à dissoudre. En effet, le vieillard, que les textes identifient à Saturne, lequel, dit-on, dévorait ses enfants, était jadis peint en vert, tandis que lintérieur visible du Palais offrait une coloration pourpre. Nous dirons plus loin à quelle source on peut se référer pour rétablir, grâce au coloris original, le sens de toutes ces figures. Il est à noter également que lhiéroglyphe de Saturne, envisagé comme dissolvant, est très ancien. Sur un sarcophage du Louvre, ayant contenu la momie dun prêtre hiérogrammate de Thèbes, nommé Poéris, on peut observer au côté gauche le dieu Sôou, soutenant le ciel par le secours du dieu Chnouphis (lâme du monde), tandis quà leurs pieds est le dieu Sèr (Saturne), couché, et dont les chairs sont de couleur verte.
Le cercle suivant nous permet dassister à la rencontre du vieillard et du roi couronné, du dissolvant et du corps, du principe volatil et du sel métallique fixe, incombustible et pur. Lallégorie se rapproche beaucoup du texte parabolique de Bernard Trévisan, où le " prestre ancien et de vieil âge " se montre si bien instruit des propriétés de la fontaine occulte, de son action sur le " roy du pays " quelle aime, attire et engloutit. Dans cette voie, et lors de lanimation du mercure, lor ou roi est dissous peu à peu et sans violence; il nen est pas de même dans la seconde où, contrairement à lamalgamation ordinaire, le mercure hermétique semble attaquer le métal avec une vigueur caractéristique et qui ressemble assez aux effervescences chimiques. Les sages ont dit à ce propos quen la Conjonction il sélevait de violents orages, de grandes tempêtes, et que les flots de leur mer offraient le spectacle dun " aigre combat ". Certains ont représenté cette réaction par la lutte à outrance danimaux dissemblables : aigle et lion (Nicolas Flamel); coq et renard (Basile Valentin), etc. Mais, à notre avis, la meilleure description, la plus initiatique surtout, est celle que nous laissa le grand philosophe de Cyrano Bergerac du duel effroyable que se livrèrent, sous ses yeux, la Rémore et la Salamandre. Dautres, et ce sont les plus nombreux, puisèrent les éléments de leurs figures dans la genèse primaire et traditionnelle de la Création; ceux-là ont décrit la formation du composé philosophal en lassimilant à celle du chaos terrestre, issu des bouleversements et des réactions du feu et de leau, de lair et de la terre.
Pour être plus humain et plus familier, le style de Notre-Dame nen est ni moins noble, ni moins expressif. Les deux natures y sont figurées par des enfants agressifs et querelleurs qui, en venant aux mains, ne se ménagent point les horions. Au plus fort du pugilat, lun deux laisse choir un pot, lautre une pierre (pl. XXV). Il nest guère possible décrire avec plus de clarté ni de simplicité laction de leau pontique sur la matière grave, et ce médaillon fait grand honneur au maître qui l a conçu.
En cette série de sujets par laquelle nous terminerons la description des figures du grand porche, il apparaît nettement que lidée directrice eut pour objectif le groupement des points variables dans la pratique de la Solution. Elle seule suffit, en effet, à identifier la voie suivie. La dissolution de lor alchimique par le Dissolvant Alkaest caractérise la première voie; celle de lor vulgaire par notre mercure indique la seconde. Par celle-ci on réalise le mercure animé.
Enfin, une solution seconde, celle du Soufre, rouge ou blanc, par leau philosophique, fait lobjet du douzième et dernier bas-relief. Un guerrier laisse tomber son épée et sarrête, interdit, devant un arbre au pied duquel surgit un bélier ; larbre porte trois énormes fruits en boules, et lon voit émerger de ses branches la silhouette dun oiseau. On retrouve ici larbre solaire que décrit le Cosmopolite dans la Parabole du Traité de la Nature, arbre duquel il faut extraire leau. Quant au guerrier, il représente lartiste qui vient daccomplir le travail dHercule quest notre préparation. Le bélier témoigne quil a su choisir la saison favorable et la substance propre ; loiseau précise la nature volatile du composé " plus céleste que terrestre ". Désormais, il ne lui restera plus quà imiter Saturne, lequel, dit le Cosmopolite, " puisa dix parties de cette eau, et incontinent prit le fruit de larbre solaire et le mit dans cette eau... Car cette eau est lEau de vie, qui a puissance daméliorer les fruits de cet arbre, de façon que désormais il ne sera plus besoin den planter ni enter ; parce quelle pourra, par sa seule odeur, rendre tous les autres six arbres de la même nature quelle est ". Au surplus, cette image est une réplique de lexpédition fameuse des Argonautes ; nous y voyons Jason auprès du bélier à la toison dor et de larbre aux fruits précieux du Jardin des Hespérides.
Au cours de cette étude, nous eûmes loccasion regretter, et les détériorations diconoclastes stupides, et la disparition complète du revêtement polychrome que possédait jadis notre admirable cathédrale. Il ne nous reste aucun document bibliographique capable daider linvestigateur et de remédier, ne fût-ce quen partie, à loutrage des siècles. Cependant, il nest point nécessaire de compulser de vieux parchemins, ni de feuilleter vainement danciennes estampes : Notre-Dame conserve elle-même le coloris original des figures de son grand porche.
Guillaume de Paris, dont nous devons bénir la perspicacité, sut prévoir le préjudice considérable que le temps porterait à son oeuvre. En maître avisé, il fit reproduire minutieusement les motifs des médaillons sur les vitraux de la rose centrale. Le verre vient ainsi compléter la pierre et, grâce au secours de la matière fragile, lésotérisme reconquiert sa pureté primitive.
On découvrira là lintelligence des points douteux de la statuaire. Le vitrail, par exemple, dans lallégorie de la Cohobation (premier médaillon), nous présente, non un vulgaire cavalier, mais un prince couronné dor, à veste blanche et bas rouges ; des deux enfants batailleurs, lun est vert, lautre violet gris ; la reine terrassant le Mercure porte une couronne blanche, une chemise verte et un manteau pourpre. On sera même surpris dy rencontrer certaines images disparues de la façade, témoin cet artisan, assis à une table rouge et qui extrait dun sac de larges pièces dor ; cette femme, au corsage vert et vêtue dun bliaut écarlate, lissant sa chevelure devant un miroir ; ces Gémeaux, du zodiaque inférieur, dont lun est de rubis et lautre démeraude, etc.
En son harmonie, en son unité, quel profond sujet de méditation nous offre lancestrale Idée hermétique ! Pétrifiée sur la façade, vitrifiée dans lorbe énorme de la rose, elle passe du mutisme à la révélation, de la gravité à la lenthousiasme, de linertie à lexpression vivante. Frustre, matérielle et froide sous la lumière crue du dehors, elle surgit du cristal en faisceaux colorés et pénètre sous les nefs, vibrante, chaude, diaphane et pure comme la Vérité même.
Et lesprit ne peut se défendre de quelque trouble en présence de cette autre antithèse, plus paradoxale encore : le flambeau de lalchimique pensée illuminant le temple de la pensée chrétienne !
VI Quittons le grand porche et venons au portail nord ou de la Vierge.Au centre du tympan, sur la corniche médiane, regardez le sarcophage, accessoire dun épisode de la vie du Christ ; vous y verrez sept cercles : ce sont les symboles des sept métaux planétaires (pl.XXVI) :
Le soleil marque lor, le vif argent Mercure ;Ce quest Saturne au plomb, Vénus lest à lairain ;
La Lune de largent, Jupiter de létain,
Et Mars du fer sont la figure.
Le cercle central est décoré dune façon particulière, tandis que les six autres se répètent deux à deux, ce qui na jamais lieu dans les motifs purement décoratifs de lart ogival. Bien plus, cette symétrie sétend du centre vers les extrémités, ainsi que lenseigne le Cosmopolite. " Regarde le ciel et les sphères des planètes, dit cet auteur, tu vois que Saturne est le plus haut de tous, auquel succède Jupiter, et puis Mars, le Soleil, Vénus, Mercure et enfin la Lune. Considère maintenant que les vertus des planettes ne montent pas, mais quelles descendent ; mesme lexpérience nous apprend que le Mars se convertit facilement en Vénus, et non le Vénus en Mars, comme plus basse dune sphère. Ainsi le Jupiter se transmue facilement en Mercure, pource que Jupiter est plus haut que Mercure ; celuy-là est le second après le firmament, celuy-ci le second au-dessus de la (135) terre ; et Saturne le plus haut, la Lune la plus basse ; le Soleil se mesle avec tous, mais il nest jamais amélioré par les inférieurs. Or, tu noteras quil y a une grande correspondance entre Saturne et la Lune, au milieu desquels est le Soleil, comme si entre Mercure et Jupiter, Mars et Vénus, lesquels tous ont le soleil au milieu. "La correspondance de mutation des planètes métalliques entre elles est donc indiquée, sur le porche de Notre-Dame, de la manière la plus formelle. Le motif central symbolise le Soleil ; les rosaces des extrémités indiquent Saturne et la Lune ; puis viennent respectivement Jupiter et Mercure ; enfin, de chaque côté du Soleil, Mars et Vénus.
Mais il y a mieux. Si nous analysons cette ligne bizarre qui semble relier les circonférences des roses, nous la verrons formée par une succession de quatre croix et de trois crosses, dont lune à spire simple et les deux autres à double volute. Remarquez, en passant, que sil sagissait encore ici dune volonté ornementale, il faudrait nécessairement six ou huit attributs, toujours afin de conserver une parfaite symétrie ; il nen est rien, et cest ce qui achève de prouver que le sens symbolique est voulu, cest quun espace, celui de gauche, demeure libre.
Les quatre croix, de même quen la notation spagyrique, représentent les métaux imparfaits ; les crosses à double spirale, les deux parfaits, et la crosse simple, le mercure, demi-métal ou semi-parfait.
Mais si, quittant le tympan, nous abaissons le regard vers la partie gauche du soubassement, divisé en cinq niches, nous remarquerons entre lextrados de chaque arcature de curieuses figurines.
Voici, en allant de lextérieur vers le pied-droit, le chien et les deux colombes (pl. XXVII), que nous rencontrons décrits dans lanimation du mercure exalté ; ce chien de Corascène, dont parlent Arthépius et Philalèthe, quil faut savoir séparer du compost à létat de poudre noire, et ces Colombes de Diane, autre énigme désespérante, sous laquelle la spiritualisation et sublimation du mercure philosophal sont cachées. Lagneau, emblème de lédulcoration du principe arsenical de la Matière ; lhomme retourné, qui traduit au mieux lapophtegme alchimique solve et coagula, lequel enseigne à réaliser la conversion élémentaire en volatilisant le fixe et fixant le volatil (pl. XXVIII):
Si le fixe tu sçays dissouldreEt le dissoult faire voler,
Puis le vollant fixer en poudre,
Tu as de quoy te consoler.
Cest dans cette partie du porche que se trouvait sculpté autrefois lhiéroglyphe majeur de notre pratique : le Corbeau.Principale figure du blason hermétique, le corbeau de Notre-Dame avait, de tout temps, exercé une attraction très vive sur la tourbe des souffleurs ; cest quune vieille légende le désignait comme lunique repère dun dépôt sacré. On raconte, en effet, que Guillaume de Paris, " lequel, dit Victor Hugo, a sans doute été damné pour avoir attaché un si infernal frontispice au saint poème que chante éternellement le reste de l édifice ", aurait caché la pierre philosophale dans lun des piliers de limmense nef. Et le point exact de cette logette mystérieuse se trouvait précisément déterminé par langle visuel du corbeau...
Ainsi, daprès la légende, loiseau symbolique fixait jadis, du dehors, la place inconnue du pilier secret où le trésor serait scellé.
Sur la face externe des piliers sans imposte qui supportent le linteau et la naissance des voussoirs, sont représentés les signes du zodiaque. On rencontre en premier lieu, et de bas en haut, Ariès, puis Taurus, et, au-dessus, Gemini. Ce sont les mois printaniers indiquant le début du travail et le temps propice aux opérations.
On nous objectera sans doute que le zodiaque peut ne pas avoir une portée occulte et représenter tout uniment la zone des constellations. Cest chose possible. Mais, dans ce cas, il nous faudrait retrouver lordre astronomique, la succession cosmique des figures zodiacales que nos Anciens nont point ignoré. Or, à Gemini succède Leo, lequel usurpe la place de Cancer, rejeté sur le pilier opposé. Limaigier a donc voulu indiquer, par cette habile transposition, la conjonction du ferment philosophique, ou Lion, avec le composé mercuriel, union qui se doit accomplir vers la fin du quatrième mois du premier uvre.
On remarque encore, sous ce porche, un petit bas-relief quadrangulaire vraiment curieux. Il synthétise et exprime la condensation de lEsprit universel, lequel forme, aussitôt matérialisé, le fameux Bain des astres où le soleil et la lune chimiques doivent se baigner, changer de nature et rajeunir. Nous y voyons un enfant tomber dun creuset, grand comme une jarre, que maintient un archange debout, nimbé, laile étendue, et qui paraît frapper linnocent. Tout le fond de la composition est occupé par un ciel nocturne et constellé (pl. XXIX). Nous reconnaissons en ce sujet lallégorie très simplifiée, chère à Nicolas Flamel, du Massacre des Innocents, que nous verrons bientôt sur un vitrail de la Sainte-Chapelle.
Sans entrer par le menu dans la technique opératoire, ce quaucun Auteur na osé faire, nous dirons cependant que lEsprit universel, corporifié dans les minéraux sous le nom alchimique de Soufre, constitue le principe et lagent efficace de toutes les teintures métalliques. Mais on ne peut obtenir cet Esprit, ce sang rouge des enfants quen décomposant ce que la nature avait dabord assemblé en eux. Il est donc nécessaire que le corps périsse, quil soit crucifié et quil meure si lon extraire lâme, vie métallique et Rosée céleste, quil tenait enfermée. Et cette quintessence, transfusée dans un corps pur, fixe, parfaitement digéré, donnera naissance à une nouvelle créature, plus resplendissante quaucune de celles dont elle provient. Les corps nont point daction les uns sur les autres ; lesprit, seul, est actif et agissant.
Cest pourquoi les Sages, sachant que le sang minéral dont ils avaient besoin pour animer le corps fixe et inerte de lor nétait quune condensation de lesprit universel, âme de toute chose ; que cette condensation sous la forme humide, capable de pénétrer et rendre végétatifs les mixtes sublunaires, ne saccomplissait que la nuit, à la faveur des ténèbres, du ciel pur et de lair calme ; quenfin la saison pendant laquelle elle se manifestait avec le plus dactivité et dabondance correspondait au printemps terrestre, les Sages, pour ces raisons combinées, lui donnèrent le nom de Rosée de Mai. Aussi, Thomas Corneille ne nous surprend-il pas lorsquil assure quon appelait les grands maîtres de la Rose-Croix Frères de la Rosée-Cuite, signification quils donnaient eux-mêmes aux initiales de leur ordre : F.R.C.
Nous voudrions pouvoir en dire davantage sur ce sujet dextrême importance et montrer comment la Rosée de Mai (Maïa était mère dHermès), humidité vivifiante du mois de Marie, la Vierge mère, sextrait aisément dun corps particulier, abject et méprisé, dont nous avons déjà décrit les caractéristiques, sil nétait des bornes infranchissables... Nous touchons au plus haut secret de luvre et désirons tenir notre serment. Cest là le Verbum dimissum du Trévisan, la Parole perdue des francs-maçons médiévaux, celle que toutes les Fraternités hermétiques espéraient retrouver, et dont la recherche constituait le but de leurs travaux et la raison dêtre de leur existence.
Post tenebras lux. Ne loublions pas. La lumière sort des ténèbres ; elle est diffuse dans lobscurité, dans le noir, comme le jour lest dans la nuit. Cest de lobscur Chaos que la lumière fut extraite et ses radiations assemblées, et si, au jour de la Création, lEsprit divin se mouvait sur les eaux de lAbîme, Spiritus Domini ferebatur super aquas, cet invisible esprit ne pouvait dabord être distingué de la masse aqueuse et se confondait avec elle.
Enfin, souvenez-vous que Dieu employa six jours à parfaire son Grand uvre ; que la lumière fut séparée le premier jour et que les jours suivants se déterminèrent, comme les nôtres, par des intervalles réguliers et alternatifs dobscurité et de lumière :
A minuit, une Vierge mère,Produit cet astre lumineux ;
En ce moment miraculeux
Nous appelons Dieu notre frère.
VII Revenons sur nos pas et arrêtons-nous au portail sud, appelé encore porche de Sainte-Anne. Il ne nous offre quun seul motif, mais lintérêt en est considérable, parce quil décrit la pratique la plus courte de notre Science et mérite dêtre, à cet égard, classé au premier rang des paradigmes lapidaires." Vois, dit Grillot de Givry, sculpté sur le portail droit de Notre-Dame de Paris, lévêque juché sur laludel où se sublime, enchaîné dans les limbes, le mercure philosophal. Il tenseigne doù provient le feu sacré ; et le chapitre laissant, par une tradition séculaire, cette porte fermée toute lannée, tindique que cest ici la voie non vulgaire, inconnue à la foule, et réservée au petit nombre des élus de la Sapience. "
Peu dalchimistes consentent à admettre la possibilité de deux voies, lune courte et facile, nommée vois sèche, lautre plus longue et plus ingrate, dite voie humide. Cela peut tenir à ce fait que beaucoup dauteurs traitent exclusivement du procédé le plus long, soit parce quils ignorent lautre, soit parce quils préfèrent garder le silence plutôt quen enseigner les principes. Pernety refuse de croire à cette duplicité de moyens, tandis que Huginus à Barma affirme, au contraire, que les maîtres anciens, les Geber, les Lulle, les Paracelse, avaient chacun un procédé qui leur était propre.
Chimiquement, rien ne soppose à ce quune méthode, employant la voie humide, ne puisse être remplacée par une autre utilisant des réactions sèches pour aboutir au même résultat. Hermétiquement, qui nous occupe en est une preuve. Nous en trouvons une seconde dans lEncyclopédie du XVIIIè siècle, où lon assure que le Grand uvre peut saccomplir par deux voies, lune dite voie humide, plis longue mais plus en honneur, et lautre, ou voie sèche, beaucoup moins appréciée. Dans celle-ci, il faut " cuire le Sel céleste, qui est le mercure des Philosophes, avec un corps métallique terrestre, dans un creuset et à feu nu, pendant quatre jours ".
Dans la seconde partie dun ouvrage attribué à Basile Valentin, mais qui serait plutôt loeuvre de Senior Zadith, lauteur paraît envisager la voie sèche, lorsquil écrit que, " pour parvenir à cet Art, il nest requis grand travail ny peine, et les despens sont petits, les instruments de peu de valeur. Car cet Art peut estre appris en moins de douze heures, et de lespace de huit jours mené à perfection, quand il y a en soy son propre principe ".
Philalèthe, au chapitre XIX de lIntroitus, dit, après avoir parlé de la voie longue, quil assure ennuyeuse et bonne seulement pour les personnes riches : " Mais, par notre voie, il ne faut pas plus dune semaine ; Dieu a réservé cette voie rare et facile pour les pauvres méprisés et ses saints couverts dabjections. " Au surplus, dans ses Remarques sur ce chapitre, Lenglet-Dufresnoy pense que " cette voie se fait par le double mercure philosophique. Par là, ajoute-t-il, l'uvre saccomplit en huit jours, au lieu quil faut près de dix-huit mois pour la première voye ".
Cette voie abrégée, mais couverte dun voile épais, a été nommée par les Sages le Régime de Saturne. La cuisson de l'uvre, au lieu de nécessiter lemploi dun vase de verre, ne réclame que le secours dun simple creuset. " Je brouilleray ton corps dans un vase de terre où je lenseveliray ", écrit un auteur célèbre, lequel dit encore plus loin : " Fais un feu dans ton verre, cest-à-dire dans la terre qui le tient enfermé. Cette briefve méthode, dont nous tavons libéralement instruit, me semble la plus courte voie et la vraye sublimation philosophique pour parvenir à la perfection de ce grave labeur. " Cest ainsi quon pourrait expliquer cette maxime fondamentale de la Science : un seul vaisseau, une seule matière, un seul fourneau.
Cyliani, dans la Préface de son livre, relate les deux procédés en ces termes :
" Je crois prévenir ici de ne jamais oublier quil ne faut que deux matières de même origine, lune volatile, lautre fixe ; quil y a deux voies, la voie sèche et la voie humide. Je suis cette dernière, de préférence, par devoir, quoique la première me soit très familière : elle se fait avec une matière unique. "
Henri de Linthaut apporte également un témoignage favorable à la voie sèche lorsquil écrit Ce secret icy surpasse tous les secrets du monde , car vous pouvés en peu de temps, sans grand soin ny travail, parvenir à une grande projection, de laquelle voyés Isaac Hollandois qui en parle amplement." Notre auteur, malheureusement, nest pas plus prolixe que ses confrères. " Quand je pense, écrit Henckel, que lartiste Elias, cité par Helvétius, prétend que la préparation de la pierre philosophale se commence et sachève en quatre jours de temps, et quil a montré en effet cette pierre encore adhérente aux tessons du creuset il me semble quil ne seroit pas si absurde de mettre en question si ce que les alchymistes appellent des grands mois ne seroit pas autant de jours, ce qui seroit un espace de temps très borné ; et sil ny auroit pas une méthode dans laquelle toute lopération ne consiste quà tenir longtemps les matières dans le plus grand degré de fluidité, ce quon obtiendroit par un feu violent, entretenu par laction des soufflets ; mais cette méthode ne peut pas sexécuter dans tous les laboratoires, et peut-être même tout le monde ne la trouvoit-il pas praticable. "
Lemblème hermétique de Notre-Dame, qui avait déjà, au XVIIè siècle, fixé lattention du sagace de Laborde, occupe le trumeau du porche, du stylobate à larchitrave, et sy trouve sculpté par le détail sur les trois côtés du pilier engagé. Cest une haute et noble statue de saint Marcel, au chef mitré, surmonté dun dais à tourelles et dépourvue, selon nous, de toute signification secrète. Lévêque se tient debout sur un dais oblong finement fouillé, orné de quatre colonnettes et dun admirable dragon byzantin, le tout supporté par un socle bordé dune frise et que relie au soubassement une moulure à talon renversé. Dé et socle ont, seuls, une réelle valeur hermétique (pl. XXX).
Malheureusement ce pilier, si magnifiquement décoré, est presque neuf : douze lustres nous séparent à peine de sa réfection, car il a été refait et... modifié.
Nous navons pas à discuter ici lopportunité de telles réparations, et ne prétendons point soutenir quil faille laisser croître, sans soins, la lèpre du temps sur un corps splendide ; cependant, et en tant que philosophe, nous ne pouvons que regretter la désinvolture quaffectent les restaurateurs vis-à-vis des créations ogivales. Sil convenait de remplacer lévêque noirci et de refaire sa base ruinée, la chose était facile ; il suffisait de copier le modèle, de le transcrire fidèlement. Quil contînt un sens caché, peu importait : limitation servile leût conservé. On voulut faire mieux encore et, si lon sen tint aux lignes du saint évêque et du joli dragon, par contre on ornementa le socle de rinceaux et dentrelacs romans, aux lieu et place de besants et des fleurs qui sy voyaient autrefois.
Cette seconde édition, revue, corrigée et augmentée, est, certes, plus riche que la première, mais le symbole en est tronqué, la science mutilée, la clef perdue, lésotérisme éteint. Le temps corrode, use, désagrège, effrite le calcaire ; la netteté en souffre, mais le sens demeure. Survient le restaurateur, le guérisseur de pierres ; en quelques coups de ciseau il ampute, rogne, oblitère, transforme, fait dune ruine authentique un artificiel et brillant archaïsme, blesse et panse, retranche et surcharge, élague et contrefait au nom de lArt, de la Forme ou de la Symétrie, sans le moindre souci de la pensée créatrice. Grâce à cette prothèse moderne, nos vénérables dames seront toujours jeunes !
Hélas ! en touchant à lenveloppe on a laissé sexhaler lâme.
Disciples dHermès, allez à la cathédrale reconnaître la place et lordonnance du pilier neuf, et prenez ensuite le chemin que suivit loriginal. Traversez la Seine, entrez au musée de Cluny et vous aurez la satisfaction de ly trouver, auprès de lescalier daccès au frigidarium des Thermes de Julien. Cest là quest venu séchouer le beau fragment.
Cette énigme du travail alchimique, solutionnée dune manière exacte, au moins en partie, par François Cambriel, lui valut dêtre cité par Champfleury dans ses Excentriques, et par Tcherkapoff dans ses Fous littéraires. Nous fera-t-on le même honneur ?
Sur le socle cubique vous remarquerez, au côté droit, deux besants en relief, massifs et circulaires; ce sont les matières ou natures métalliques, sujet et dissolvant, avec lesquelles on doit commencer luvre. A la face principale, ces substances, modifiées par les opérations préliminaires, ne sont plus représentées sous la forme de disques, mais comme des rosaces à pétales soudés. Il convient, en passant, dadmirer sans réserve lhabilité avec laquelle lartiste a su traduire la transformation des produits occultes, dégagés des accidents externes et des matériaux hétérogènes qui les enrobaient dans la minière. Au côté gauche, les besants, devenus rosaces, affectent cette fois la forme de fleurs décoratives à pétales soudés, mais à calice apparent. Quoique bien rongées et presque effacées, il est facile cependant dy retrouver la trace du disque central. Elles représentent toujours les mêmes sujets ayant acquis dautres qualités ; le graphique du calice indique que les racines métalliques ont été ouvertes et sont disposées à manifester leur principe séminal. Telle est la traduction ésotérique des petits motifs du socle. Le dé va nous fournir lexplication complémentaire.
Les matières préparées et unies en un seul composé doivent subir la sublimation ou dernière purification ignée. Dans cette opération, les parties adustibles se détruisent, les matières terreuses perdent leur cohésion et se désagrègent, tandis que les principes purs, incombustibles, sélèvent sous une forme très différente de celle quaffectait le composé. Cest là le sel des philosophes, le roi couronné de gloire, qui prend naissance dans le feu et doit se réjouir dans le mariage subséquent, afin, dit Hermès, que les choses occultes deviennent manifestes. Rex ab igne veniet, ac conjugio gaudebit et occulta patebunt. De ce roi, le dé ne montre que le chef, émergeant des flammes purifiantes. Il ne serait pas certain, à lheure présente, que le bandeau frontal gravé sur la tête humaine appartienne à une couronne ; on pourrait aussi bien y discerner, daprès le volume et laspect du crâne, une sorte de bassinet ou de berruier. Mais nous possédons, heureusement, texte dEsprit Gobineau de Montluisant, dont le livre fut écrit " le mercredy 20 de may 1640, veille de la glorieuse Ascension de Nostre Sauveur Jésus-Christ ", et qui nous apprend positivement que le roi porte une triple couronne.
Après lélévation des principes purs et colorés du composé philosophique, le résidu est prêt, dès lors, à fournir le sel mercuriel, volatil et fusible, auquel les vieux auteurs ont souvent donné lépithète de Dragon babylonien.
Lartiste créateur du monstre emblématique a produit un véritable chef-doeuvre, et, quoique mutilé, le pennage gauche est brisé, il nen demeure pas moins un morceau de statuaire remarquable. Lanimal fabuleux émerge des flammes et sa queue paraît sortir de lêtre humain dont elle entoure, en quelque sorte, la tête. Puis, dans un mouvement de torsion qui le cambre sur la voussure, il vient étreindre lathanor de ses griffes puissantes.
Si nous examinons lornementation du dé, nous y remarquerons des cannelures groupées, légèrement creuses, à sommet curviligne et base plane. Celles de la paroi gauche sont accompagnées dune fleur à quatre pétales dégagés, exprimant la matière universelle, quaternaire des éléments premiers, selon la doctrine dAristote répandue au moyen âge. Directement au-dessous, le duo des natures que lalchimiste travaille et dont la réunion fournit le Saturne des Sages, dénomination anagrammatique de natures. Dans lentre-colonnement de face, quatre cannelures, allant en décroissant, selon lobliquité de la rampe flammée, symbolisent le quartenaire des éléments seconds; enfin, de chaque côté de lathanor, et sous les serres même du dragon, les cinq unités de la quintessence, comprenant les trois principes et les deux natures, puis leur totalisation sous le nombre dix " auquel tout fini et se termine ".
L.P. François Cambrielprétend que la multiplication du Soufre, blanc ou rouge, nest pas indiquée dans lhiéroglyphe étudié ; nous noserions nous prononcer aussi catégoriquement. La multiplication, en effet, ne peut se réaliser quà laide du mercure, qui joue le rôle de patient dans luvre, et par coctions ou fixations successives. Cest donc sur le dragon, image du mercure, que nous devrions chercher le symbole représentatif de la nutrition et de la progression du Soufre ou de lElixir. Or, si lauteur avait apporté plus de soin à lexamen des particularités décoratives, il eût certainement remarqué :
1° Une bande longitudinale partant de la tête et suivant la ligne des vertèbres jusquà lextrémité de la queue;
2° Deux bandes analogues, posées obliquement, une sur chaque aile;
3° Deux bandes plus larges, transversales, ceignant la queue du dragon, la première au niveau du pennage, lautre au-dessus de la tête du roi. Toutes ces bandes sont ornées de cercles pleins se touchant en un point de leur circonférence.
Quant à leur signification, elle nous sera fournie par les cercles des bandes caudales : le centre en est très nettement indiqué sur chacun deux. Or, les hermétistes savent que le roi des métaux est figuré par le signe solaire, c'est-à-dire une circonférence avec ou sans point central. Il nous paraît donc vraisemblable de penser que, si le dragon est couvert à profusion du symbole aurique, il en porte jusque sur les serres de la patte droite, cest quil est capable de transmuter en quantité ; mais il ne peut acquérir cette puissance que par une série de cuissons ultérieures avec le Soufre ou Or philosophique, ce qui constitue les multiplications.
Tel est, aussi clairement exposé que possible, le sens ésotérique que nous avons cru reconnaître sur le beau pilier de la porte Sainte-Anne. Dautres, plus érudits ou plus savants, en donneront peut-être une interprétation meilleure, car nous ne prétendons imposer à personne la thèse développée ici. Il nous suffira de dire quelle concorde en général avec celle de Cambriel. Mais, en revanche, nous ne partageons pas lopinion de cet auteur, qui voulu étendre, sans preuve, le symbolisme du dé à la statue elle-même.
Certes, il est toujours pénible davoir à reprocher une erreur manifeste, et plus affligeant encore de relever certaines affirmations pour les détruire en bloc. Il le faut pourtant, quelque regret que nous en ayons. La science que nous étudions est aussi positive, aussi réelle, aussi exacte que loptique, la géométrie ou la mécanique ; ses résultats aussi tangibles que ceux de la chimie. Si lenthousiasme, la foi intime y sont des stimulants, des auxiliaires précieux ; sils entrent pour une part dans la conduite et lorientation de nos recherches, nous devons cependant en éviter les écarts, les subordonner à la logique, au raisonnement, les soumettre au critérium de lexpérience. Souvenons-nous que ce sont les friponneries des souffleurs avides , les pratiques insensées des charlatans, les inepties décrivains ignares et sans scrupule qui ont jeté le discrédit sur la vérité hermétique. On doit voir juste et bien dire. Pas un mot qui ne soit pesé, pas une pensée qui nait été passée au crible du jugement et de la réflexion. LAlchimie demande à être épurée ; dégageons-la des macules dont ses partisans mêmes lont parfois souillée : elle en sortira plus robuste et plus saine, sans perdre rien de son charme ni de sa mystérieuse attraction.
François Cambriel, à la trente-troisième page de son livre, s exprime ainsi : " De ce mercure, il résulte la Vie représentée par lévêque qui est au dessus dudit dragon... Cet évêque porte un doigt à sa bouche, pour dire à ceux qui le voient et qui viennent prendre connaissance de ce quil représente... taisez-vous, nen dites rien !... "
Le texte est accompagné dune planche gravée, dun bien mauvais dessin, ce qui est peu de chose, mais notoirement truqué, ce qui est grave. Saint Marcel y tient une crosse, courte comme un drapeau de garde-barrière ; la tête est coiffée dune mitre à décoration cruciforme, et, superbe anachronisme, lélève de Prudence est barbu ! Détail piquant : dans le dessin de face, le dragon a la gueule de profil et ronge le pied du pauvre évêque qui semble, dailleurs, sen soucier fort peu. Calme et souriant, il sapplique, de lindex, à clore ses lèvres dans le geste du silence commandé.
Le contrôle est aisé, puisque nous possédons loeuvre originale, et la supercherie éclate au premier coup doeil. Notre saint est, selon la coutume médiévale, absolument glabre ; sa mitre, très simple, noffre aucune ornementation ; la crosse quil soutient de la main gauche, sapplique par son extrémité inférieure sur la gueule du dragon. Quant au geste fameux des personnages du Mutus Liber et dHarpocrate, il est sorti tout entier de limagination excessive de Cambriel. Saint Marcel est représenté bénissant, dans une attitude pleine de noblesse, le front incliné, lavant-bras replié, la main au niveau de lépaule, lindex et le médius levés.
Il est très difficile de croire que deux observateurs aient pu être le jouet dune même illusion. Cette fantaisie émane-t-elle de lartiste ou fut-elle imposée par le texte ? La description et le graphique ont entre eux une telle concordance quon nous permettra daccorder peu de créance aux qualités dobservation manifestées dans cet autre fragment du même auteur.
" Passant un jour devant léglise Notre-Dame de Paris, jexaminai avec beaucoup dattention les belles sculptures dont les trois portes sont ornées, et je vis à lune de ces trois portes un hiéroglyphe des plus beaux, duquel je ne métais jamais aperçu, et pendant plusieurs jours de suite jallais le consulter pour pouvoir donner le détail de tout ce quil représentait, à quoi je parvins. Par ce qui suit, le lecteur sen convaincra, et mieux encore en se transportant de lui-même sur les lieux. "
Voilà qui ne manque, en vérité, ni de hardiesse ni dimpudence. Si le lecteur de Cambriel se rend à son invitation, il ne trouvera sur le trumeau de la porte Sainte-Anne que lexotérisme légendaire de saint Marcel. Il y verra lévêque tuant le dragon en le touchant de sa crosse, ainsi que le rapporte la tradition. Quil symbolise, au surplus, la vie de la matière, cest là une opinion personnelle que lauteur est libre dexprimer; mais quil réalise en fait le tacere de Zoroastre, cela nest pas et ne fut jamais.
De telles incartades sont regrettables et indignes dun esprit sincère, probe et droit.
VIII Edifiées par les Frimasons médiévaux pour assurer la transmission des symboles et de la doctrine hermétique, nos grandes cathédrales exercèrent, dès leur apparition, une influence marquée sur nombre de spécimens plus modestes de larchitecture civile ou religieuse.Flamel se plaisait à revêtir demblèmes et dhiéroglyphes les constructions quil élevait de tous côtés. Labbé Vilain nous apprend que le petit portail de Saint-Jacques-la-Boucherie, que lAdepte fit exécuter en 1389, était couvert de figures. " Au jambage occidental du portail, dit-il, on voit un petit ange en sculpture qui tient en ses mains un cercle de pierre ; Flamel y avait fait enclaver un rond de marbre noir avec un filet dor fin en forme de croix... " Les pauvres devaient également à sa générosité deux maisons, quil fit construire à leur intention rue du Cimetière-de-Saint-Nicolas-des-Champs, la première en 1407, lautre en 1410. Ces immeubles présentaient, assure Salmon, " quantité de figures gravées dans les pierres, avec un N et une F gothiques de chaque costés ". La chapelle de lhôpital Saint-Gervais, reconstruite à ses frais, ne le cédait en rien aux autres fondations. " La façade et le portail de la nouvelle chapelle, écrit Albert Poisson, étaient couverts de figures et de légendes à la manière ordinaire de Flamel. " Le portail de Sainte-Geneviève-des-Ardents, situé rue de la Tixeranderie, conserva son intéressant symbolisme jusquau milieu du XVIIIe siècle ; à cette époque, léglise fut convertie en maison et les ornements de la façade détruits. Flamel éleva encore deux arcades décoratives au charnier des Innocents, lune en 1389, la seconde en 1407. Poisson nous apprend quon voyait sur la première, parmi dautres plaques hiéroglyphiques, un écusson que lAdepte " semble avoir imité dun autre attribué à saint Thomas dAquin ". Le célèbre occultiste ajoute quil figure à la fin de lHarmonie Chymique de Lagneau. Voici, dailleurs, la description quil nous en donne :
" Lécusson est partagé en quatre par une croix ; celle-ci porte au milieu une couronne dépines renfermant en son centre un coeur saignant doù sélève un roseau. Dans un des quartiers, on voit IEVE en caractères hébraïques, au milieu dune foule de rayons lumineux, au dessous dun nuage noir ; dans le second quartier, une couronne ; dans le troisième, la terre est chargée dune ample moisson, et le quatrième est occupé par des globes de feu. "
Cette relation, conforme à la gravure de Lagneau, nous permet de conclure que celui-ci a fait copier son image daprès larcade du charnier. Il ny a là rien dimpossible, puisque, sur quatre plaques, il en restait trois du temps de Gohorry, cest-à-dire vers 1572, et que lHarmonie chymique parut chez Claude Morel en 1601. Cependant, il eût été préférable de sadresser à lécusson type, assez différent de celui de Flamel et beaucoup moins obscur. Il existait encore à lépoque de la Révolution, sur une verrière éclairant la chapelle de Saint-Thomas-dAquin, au couvent des Jacobins. Léglise des Dominicains, qui y logeaient et sy étaient établis vers lan 1217, dut sa fondation à Louis IX. Elle était située rue Saint-Jacques et placée sous le vocable de Saint-Jacques le Majeur. Les Curiositez de Paris, parues en 1716 chez Saugrain laîné, ajoutent quà côté de l église se trouvaient les écoles du Docteur angélique.
Lécusson, dit saint Thomas dAquin, fut très exactement dessiné et peint en 1787, et daprès le vitrail même, par un hermétiste nommé Chaudet. Cest ce dessin qui nous permet de le décrire (pl. XXXI).
Lécu français, écartelé, tient par son chef à un segment arrondi qui le domine. Cette pièce supplémentaire montre un matras dor renversé, entouré dune couronne dépines de sinople sur champ de sable. La croix dor porte trois globes dazur en pointe, bras dextre et sénestre, avec un coeur de gueules au rameau de sinople au centre. Sur ce coeur, des larmes dargent tombant du matras se rassemblent et se fixent. Au canton du chef dextre, biparti dor aux trois astres de pourpre, et dazur aux sept rayons dor, est opposée en pointe sénestre une terre de sable aux épis dor sur champ tanné. Au canton du chef sénestre, une nuée violette sur champ dargent, et trois flèches de même, pennées dor, dardent vers labîme. En pointe dextre, trois serpents dargent sur champ de sinople.
Ce bel emblème a dautant plus dimportance pour nous quil dévoile les secrets relatifs à lextraction du mercure et à sa conjonction avec le soufre, points obscurs de la pratique sur lesquels tous les auteurs ont préféré garder un silence religieux.
La Sainte-Chapelle, chef-doeuvre de Pierre de Montereau, merveilleuse châsse de pierre élevée, de 1245 à 1248, pour recevoir les reliques de la Passion, présentait aussi un ensemble alchimique fort remarquable. Aujourdhui encore, si nous regrettons vivement la réfection du portail primitif, où les Parisiens de 1830 pouvaient avec Victor Hugo admirer " deux anges, dont lun a sa main dans un vase, et lautre dans une nuée ", nous avons, malgré tout, la joie de posséder intactes les verrières sud du splendide édifice. Il semble difficile de rencontrer ailleurs une collection plus considérable, sur les formules de lésotérisme alchimique, que celle de la Sainte-Chapelle. Entreprendre, feuille à feuille, la description dune telle forêt de verre, serait une besogne énorme, capable de fournir la substance de plusieurs volumes. Nous nous bornerons donc à en offrir un spécimen extrait de la cinquième baie, premier meneau, et qui a trait au Massacre de Innocents dont nous avons donné plus haut la signification (pl. XXXII). Nous ne saurions trop recommander aux amateurs de notre vieille science, ainsi quaux curieux de locculte, létude des vitraux symboliques de la chapelle haute ; ils y trouveront largement à glaner, de même que dans la grande rose, incomparable création de couleur et dharmonie.